Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/359

Cette page a été validée par deux contributeurs.
355
REVUE. — CHRONIQUE.

c’est déclarer la guerre à M. de Rigny et à M. Thiers, à M. Persil et à M. Guizot. M. Persil avait annoncé qu’il déposerait sa démission sur la table du conseil, si l’amnistie était adoptée ; M. Gérard a cédé la place à M. Persil. Cedant arma togœ ; le sabre du soldat est moins tranchant et moins acéré que la plume du robin.

Cependant ce ministère, qui a perdu toute sa consistance morale dans la personne du maréchal Gérard, ne devrait pas se dissimuler qu’il est complètement disloqué. Ne lui a-t-il pas fallu faire publier par le Moniteur la retraite du président du conseil, sans pouvoir en présenter aussitôt un autre ? Tous les courriers qu’on a expédiés, revenus avec des lettres de refus, et le fauteuil du président resté vacant pendant plusieurs jours, indiquent assez quelle terrible responsabilité aurait à prendre celui qui voudrait le remplir. À l’heure où nous écrivons, rien n’est encore conclu. On parle à la fois du maréchal Lobau, du maréchal Maison, du maréchal Molitor, de M. Molé et de M. de Broglie : nous ne savons qui occupera cette triste place, encore baignée des sueurs du malheureux maréchal, qui l’abandonne après tant d’inutiles efforts ; mais quiconque la prendra sans avoir déjà compromis une réputation de probité et de droiture, sans avoir été signalé comme un homme impitoyable, aveugle et cruel, fera un grand acte de courage. Assurément, ce que n’a pu faire le maréchal Gérard, son successeur ne parviendra pas à l’effectuer. Le bourbier des marchés secrets et des manœuvres de bourse ne se fermera pas sous ses pieds ; il faudra bien, volontairement ou non, qu’il s’y plonge, ou du moins qu’il ferme les yeux pour ne pas voir ses collègues s’y vautrer à plaisir. Les cachots ne s’ouvriront pas non plus à sa voix, il ne peut l’espérer, puisque toutes les sollicitations du maréchal n’ont pu arracher un seul détenu de sa prison. Il sera donc président du conseil à bon escient, sans espoir de faire le bien ni d’affaiblir le mal ; il sera ministre pour s’adjoindre à des actes de rigueur, pour couvrir d’un voile de plus tous les scandaleux désordres du ministère ; l’opinion publique l’aura duement averti, la fuite honorable de son prédécesseur lui aura suffisamment fait connaître en quels lieux il vient aborder, à quelles consciences il va livrer la sienne. Nous le répétons, nous ne savons pas quel personnage politique osera prendre une telle résolution ; mais quel qu’il soit, fût-il de nos amis, nous ne craignons pas de dire que son procès est fait d’avance, et qu’il sera jugé comme coupable d’un crime commis avec préméditation.

Pour la réforme des abus, nous n’en parlons pas, trop de gens sont intéressés à les maintenir ; mais l’amnistie, qui n’empêchera personne de s’enrichir dans les marchés, et de trafiquer des nouvelles, rencontrera un jour moins d’obstacles qu’on ne pense. Le véritable président du conseil,