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REVUE LITTÉRAIRE.

existe-t-il donc un fait que l’homme ne voie à travers son idéalité ? existe-t-il un système qui ne repose pas sur une observation ? L’idéal absolu est aussi impossible que le positif absolu est impraticable.

Vous rassemblez les notes que vous avez prises sur les manuscrits de la Bibliothèque du roi et sur les chroniques vulgaires ; vous classez les dates et les anecdotes que vous avez amassées. C’est bien, vous êtes un chroniqueur ; vous vous piquez de ne mettre à votre travail aucune intelligence. Vous vous vantez de n’avoir discerné, ni les hommes, ni les temps. Vous exaltez vivement le mérite que vous avez de manquer de raisonnement et de pénétration.

Mais à qui l’auteur fait-il tort par ces vues étroites ? à l’histoire, ou à lui-même ? M. Paul Lacroix a décelé dans sa préface un esprit auquel manque la grandeur, et qui semble s’obstiner et se complaire à rester mesquin ; il s’est montré destitué de ce sens large et profond qui sait assigner à chaque chose sa valeur et sa portée. Comment l’auteur n’a-t-il pas compris que plus il se vouait à la chronique, plus il devait respecter l’histoire, que ce respect même eût rehaussé son propre travail et ses efforts, qu’il en eût fait un ouvrier intelligent concourant à l’œuvre générale, tandis que, par les étranges affirmations de sa préface, il s’est montré manœuvre prétentieux et révolté. L’histoire ne sera pas ébranlée sur sa base par les singuliers anathèmes de M. Paul Lacroix ; elle attend toujours les artistes et les penseurs ; comme il est de sa destinée de se renouveler de siècle en siècle, et de changer de point de vue en s’élevant toujours, elle offre incessamment des champs nouveaux et des perspectives inconnues. L’histoire ne se contente pas d’être une chronique ; elle ne serait pas non plus satisfaite de la sécheresse d’une dissertation ; pas davantage elle ne songe à dégénérer en plaidoyer passionné : mais, s’attachant à comprendre la vie entière de l’humanité et de l’homme, elle mêle ensemble le réel et l’idéal, le drame et le système, les faits et la loi générale qui les mène et les coordonne. Cette histoire indestructible semble une des plus nobles préoccupations de notre siècle ; elle réclame de nouveaux efforts et d’énergiques tentatives. En attendant, nous engageons M. Paul Lacroix à continuer sa compilation, sans davantage insulter l’histoire.


Tout concourt dans notre époque à éclaircir les fastes du genre humain, ses mœurs et ses destinées dans les civilisations les plus différentes : voici les Chants populaires des Serviens[1], traduits par Mme Élise Voïart sur

  1. Chants populaires des Serviens, recueillis par Wuk Stephanowitsch, et traduits d’après Talvy par Mme Élise Voïart. 2 vol. in-8o ; Paris, chez Mercklein.