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domine. C’est peut-être dans les écrivains du parti légitimiste qu’on reconnaît plus aisément les destinées contraires du siècle.


Voici le Voyage en Suisse[1] de M. le comte Théobald Walsh, rédacteur de la Gazette de Normandie. M. le comte, entré en Suisse, semble oublier complètement les préventions de parti qu’il soutenait, tant bien que mal, en France. S’il rencontre un portrait de Luther à Bade, une petite république à Gersau, la date et le lieu d’une héroïque insurrection dans la vallée du Prettigau, et partout les noms de Guillaume Tell, de Jean Huss, de Zwingle, il prend aussitôt feu contre l’hérésie et la révolte. Il apprécie gravement à Genève la haute puissance politique de Calvin. Quelquefois, pourtant, il veut rappeler les opinions de sa coterie, et renouer les concessions involontaires de son présent aux principes de son passé. La nonchalance et la singularité qu’il met à ces ressouvenirs sont piquantes. Retrouvant à Lucerne les traces de Paul-Louis Courier, il argumente sur la dualité de son talent et de son caractère avec un admirable sang-froid. Il a peine à croire que Courier ait été bon. Puis il se reproche la hardiesse de ce jugement : « Je crains, dit-il, qu’il ne s’y glisse, à mon insu, un reste de rancune politique ; ce qui, j’avoue, serait possible. Car Courier est, après Béranger et M. de Blacas, l’homme qui a fait le plus de mal à la restauration. » Par quel horrible forfait M. de Blacas a-t-il donc mérité de coudoyer la gloire au bout de ce paragraphe ?


M. Jules de Saint-Félix, dont nous voudrions rappeler le talent à des préoccupations plus graves, voyageait aux bords de la Méditerranée lorsque lui vint l’idée du roman d’Arabelle[2]. M. Jules de Saint-Félix ne nous paraît pas avoir une assurance bien vive dans la bannière politique sous laquelle il s’est engagé ; il a senti le besoin d’avoir une autre religion que celle de son parti ; il s’est réfugié dans l’amour de l’art pour lui-même, et lui a voué un culte secret, comme il le dit dans sa préface. Il n’a point tenu toutefois sa parole. Arabelle est bien l’image de l’aristocratie présente, à laquelle nous regrettions que M. de Saint-Félix ait consacré sa jeunesse. Arabelle est une courtisane. Elle reçoit à Florence, dans son palais, toute la noblesse d’Europe. Elle a l’audacieuse splendeur de la prostitution dont les femmes du monde n’ont que les douceurs timides. Le comte Edmond aime Arabelle plus qu’homme n’a fait avant

  1. Paris, chez Hivert, quai des Augustins.
  2. vol. in-8o ; Paris, Guyot.