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montre, un parapluie, mais ils n’en feront aucun usage, pas plus que s’ils n’avaient nul besoin de connaître l’heure et que s’il ne pleuvait jamais à Paris. Il y a plus, ces objets ne seront pas en sûreté, tant qu’ils les auront en leur possession ; pour que tout cela soit sauvé, suivant leur expression familière, il faut l’envoyer au pays. Avant l’envoi cependant, si l’épargne du jeune homme est riche, il voudra y joindre son portrait. Ce n’est pas à coup sûr pour s’admirer sottement dans son image que le montagnard pose et se fait peindre : mais qui sait ? le portrait peut servir à le marier. Il sera remarqué des jeunes filles du canton et lui vaudra quelque grasse dot. Qu’en dites-vous ? n’est-ce pas ainsi que les princes mettent leur figure en circulation pour essayer ce que peut ajouter une belle tête à l’ambition d’une belle couronne ? Certes, la spéculation ne sent point du tout son manant.

Le mariage est pour les Savoyards une affaire sérieuse, à laquelle ils apportent tout leur bon sens.

Ils s’établissent rarement à l’étranger, et rien au monde ne les déciderait à prendre une femme à Paris pour transplanter cette fleur fragile au grand air de leurs montagnes. Femmes de chambre ou maîtresses, riches ou pauvres, ce sont pour eux des poupées de salon qui ne supporteraient ni le hâle ni le travail. Ceux qui forment un établissement de commerce dans la capitale, ne pouvant pas se marier dans la commune où ils sont nés, s’allient quelquefois à un sang picard ou normand. C’est le petit nombre, et tout le monde n’approuve pas ces téméraires novateurs. Communément, quand l’émigrant est rentré dans ses foyers, à vingt-huit ou trente ans, la famille se met en quête ; on passe en revue les fortunes et les caractères ; la beauté ne vient qu’en dernier lieu, après ces conditions essentielles, et comme l’accessoire du marché. Le choix arrêté, le jeune homme doit obtenir l’aveu de la jeune fille avant de sonder les intentions des parens. Cela ne se fait point, comme dans nos mariages d’argent, par une simple présentation et par deux ou trois entretiens. Ils y mettent plus de façons : c’est des deux côtés une sorte de coquetterie qui ne manque ni de grâce ni d’innocence. Pour attirer l’attention de la jeune fille, le prétendant se trouvera sur son passage au moment où la cloche de la paroisse appelle les familles au service divin ; il se placera au premier rang pour la re-