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lent sur le pays, sur les affaires, sur les intérêts de tous et de chacun ; les plus jeunes reçoivent des conseils ; les plus expérimentés enseignent la prudence ; on se communique les observations que chacun peut avoir recueillies sur son chemin. Ces réflexions ont quelquefois une véritable portée. C’est ainsi qu’ils ont remarqué depuis juillet la décadence de certains quartiers et le retour du mouvement commercial ou de la richesse dans certains autres qui étaient moins favorisés auparavant, un déplacement de niveau dans les forces sociales.

Si l’un d’eux tombe malade, les autres lui tiennent lieu de famille : celui-ci s’emploie pour obtenir un billet d’hôpital, celui-là se charge du transport ; une collecte est faite entre tous pour les besoins les plus pressans ; chacun, à son jour, va voir et consoler le patient qui ne manquera d’aucun secours pendant le temps de l’affliction.

Les fortes têtes de la colonie avaient imaginé un plan d’association entre toutes les communes de la Savoie représentées à Paris. Il s’agissait d’établir une caisse de secours et de créer un grand centre de protection pour tant de travailleurs isolés. L’avantage que chacun pouvait en retirer dans ses rapports avec les particuliers et avec l’autorité ne fit qu’une médiocre impression sur l’assemblée ; mais ces hommes simples, habitués à vivre d’un labeur pénible, s’aperçurent bien vite que les cotisations pourraient servir à l’entretien des paresseux ou des maladroits, et tout d’une voix le projet fut repoussé ; car l’axiome si cher à nos hommes d’état est aussi la religion des Savoyards : « Chacun pour soi et Dieu pour tous. »

Pourtant il faut bien s’en écarter dans les circonstances graves de la vie. Ces mêmes hommes qui refusent de faire cause commune pour le soutien des infirmes et des ouvriers hors de travail, se réuniront pour exclure un coupable de leur société. Leur justice est prompte et sévère ; ils n’attendent pas que les tribunaux aient prononcé. S’il arrive, ce qui est fort rare, qu’un des leurs ait commis quelque abus de confiance, à l’instant tout le corps des Savoyards se soulève contre lui. Il a beau se cacher, on le poursuit de quartier en quartier, on le découvre, on le conduit sans bruit, mais aussi sans pitié, dans quelque chambrée près de la barrière, où le délinquant reçoit une rude correction, de celles que l’on administre