Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/314

Cette page a été validée par deux contributeurs.
310
REVUE DES DEUX MONDES.

ver de barque disponible. Alors, sous la pluie qui l’inondait, sous la neige qui le glaçait, il se mettait en route et arrivait près du lit de Perina, seul et désespéré ; et les gouttes d’eau froide, les flocons de neige, les morsures de la bise lui semblaient encens, parfums et nuages de fleurs[1] ! »

Cela dura treize mois.

Enfin, à force de soins, Perina retrouva quelque apparence de santé. Elle remerciait l’Arétin ; « vous êtes mon père et ma mère, lui disait-elle ! » Elle ne lui parlait pas d’amour, mais elle lui témoignait toute sa reconnaissance ; et l’Arétin recommençait à la combler de présens.


Un an se passe. Elle est rétablie. Le 2 août 1540, un jeune amant l’enlève ; elle quitte furtivement la maison du Canal-Grande ; et l’Arétin trouve sa Perina disparue.


Reconnaissance ! c’est un mot qui va si mal, qui s’accorde si peu avec l’amour ! Il faut entendre une vérité dure, fixer son regard sur une de ces lumières sombres et tristes, qui effraient et qui éclairent. La reconnaissance a toujours tué l’amour. Qui veut les accorder se trompe. D’une part, servitude ; de l’autre, liberté : ici devoir, là indépendance ; ici une chaîne pesante que l’on ne peut briser sans crime, là une impulsion tellement spontanée, qu’elle échappe à la volonté même. Qui sait si la pauvre Riccia que nous blâmons n’a pas subi de douloureux combats ? Qui sait si cet Arétin, qui l’avait rendue à la vie, ne lui déplaisait pas horriblement ; si elle ne le méprisait pas du fond de l’ame ; si elle n’a pas fait pour l’aimer ces efforts cruels et vains qui n’aboutissent qu’à la terreur et à la haine ? Je ne l’excuse pas ; je l’explique. Quoi qu’il en soit, elle partit ; et l’on peut imaginer la rage de l’Arétin. Il l’accable dans ses lettres à ses amis des noms les plus infâmes ; il la maudit, il l’exècre ; mais il ne peut l’oublier.

« Oui, dit-il[2] dans une lettre passionnée que la vérité de la douleur rend éloquente, je me réjouis de voir en débris la plus vile

  1. T. 2, pag. 229.
  2. id. ib. 221, Lettre à Ferraguto di Lazzara.