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REVUE DES DEUX MONDES.

Quand l’Arétin la vit pour la première fois, elle venait d’épouser, toute pauvre qu’elle était, un mari plus riche qu’elle ; Polo, c’était son nom, l’aimait tendrement. Nous ne dirons pas, aucun mémoire n’apprend, l’Arétin lui-même ne se donne pas la peine d’expliquer par quel moyen il écarta le mari : seulement il est certain qu’elle vint habiter la maison du poète, que les Arétines l’accueillirent avec amitié, que sa mère donna les mains à cet arrangement, que son oncle monsignor Zicotto n’y trouva pas à redire, et que les plus tendres soins de l’Arétin lui furent prodigués. Perina était menacée de consomption.

L’Arétin, cette nature robuste et fougueuse, ce composé du soldat et du moine, fut-il ému d’un contraste si complet ? Était-ce pour lui un sujet d’étonnement que cette vie délicate, frêle, tremblante, si peu semblable à la sienne, toute prête à s’éclipser comme la flamme qui ondoie plus lumineuse autour d’un flambeau qui va s’éteindre ?


On peut conjecturer ce que l’on voudra.


Toutefois Riccia était chargée d’une sorte de mission providentielle, mission de singulière vengeance : elle devait punir l’Arétin, lui faire subir un long chagrin moral, à lui qui avait renié l’ame, qui n’avait accepté que les plaisirs physiques ; elle devait être aimée, profondément, inutilement, douloureusement aimée de cet homme qui riait de tout au monde et qui a laissé un nom synonyme de la volupté brutale ! Chercherez-vous dans la fiction, romanciers, une création plus frappante que cette situation, que ces deux caractères et le drame qui va en résulter !

Nous ne changerons, nous n’ajouterons pas un mot à l’histoire, que nous avons recueillie par lambeaux, et reconstruite avec amour, d’après les nombreuses lettres de l’Arétin. À peine admise dans sa maison, il passe des journées à l’admirer[1] ; soit qu’elle couse, brode, se lève, marche, s’asseie, parle ou se taise, il croit que chacun de ses gestes, que chacune de ses actions appartiennent à un ange

  1. V. la lettre à son oncle, monsignor Zicotto, t. 1, pag. 148, 149.