Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/309

Cette page a été validée par deux contributeurs.
305
L’ARÉTIN.

les œillades, les sourires et les rendez-vous nocturnes, que jamais plaintes, querelles ou malédictions ne se font entendre chez vous. Vous laissez aux autres femmes les feintes douleurs et les feintes amours ; vous n’avez pas de larmes et de soupirs à volonté ; ces mille stratagèmes, dont on a fait un art, ne vous appartiennent pas ; vous ne prétendez pas que vous allez vous tuer, parce que votre amant a été rendre visite à une autre dame ; votre science féminine procède à la royale avec franchise et majesté ; vous rejetez les charlataneries de votre sexe. Des pratiques honorables jouissent de votre gentille beauté ; l’envie, la haine, la médisance, ne tiennent pas votre âme et votre langue dans un mouvement perpétuel. Enfin, vous aimez et choyez les talens et vous honorez le mérite, chose rare chez quiconque se plie aux volontés d’autrui et reçoit le prix de ses caresses ! »


Au milieu de cette vie dissolue, il tint sur les fonts baptismaux la fille d’un de ses amis, nommé Jean-Antoine Sirena. La femme de ce dernier était jolie, faisait bien les vers, chérissait son mari, et l’Arétin, par amour de la nouveauté sans doute, s’avisa d’en être platoniquement épris. Le voilà écrivant des stances en l’honneur de la sirène (ce jeu de mots ne lui échappait pas), protestant hautement de la pureté de son amour, de la chasteté de ses intentions, et de sa vénération pour elle. La vie ignoble et désordonnée de l’Arétin rendait ces éloges publics assez dangereux pour la réputation de Sirena. Ses parens, son mari et elle-même craignirent qu’on ne la confondît avec la foule des maîtresses de l’Arétin. Elle ferma sa porte au poète et s’abstint de le saluer quand il passait. Pourquoi aussi s’avisait-il de faire du platonisme et de la vertu ? Cela lui convenait si mal. Il écrivit au mari une lettre furibonde, modèle d’orgueil et d’absurdité : « Ma plume, dit-il, a rendu immortelle Mme Angela Sirena ; apprenez que les papes, les rois et les empereurs s’estiment heureux quand je veux bien les ménager. Sachez que le duc de Ferrare m’envoie un ambassadeur avec de l’argent, parce que je n’ai pas voulu lui rendre visite chez lui ! Sachez qu’il n’y a pas de femme qui ne s’enorgueillisse d’être chastement chantée et célébrée dans mes vers. Il viendra un temps où cette lettre que je vous envoie et que je daigne signer de ma main sera un titre