Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/29

Cette page a été validée par deux contributeurs.
25
LETTRE SUR LA PALESTINE.

amas de maisons de pierre, entremêlé de hauts palmiers ; la cité arabe n’a point de murailles qui l’enferment. J’ai visité avant tout le gouverneur, accompagné de son premier kiatib chez qui je suis logé, de mon drogman Damiani, de mon cavaz Ibrahim, et de quelques-uns des principaux Grecs de la ville. Massoud-Ilmadi (c’est le nom du mutselim) m’a fait asseoir à ses côtés sur un large divan, et m’a traité avec tous les raffinemens de la politesse musulmane ; ce mutselim, dont les chrétiens m’avaient tracé le portrait le plus odieux, s’est montré à moi de la plus bienveillante amabilité. J’ai eu plusieurs fois occasion de remarquer que dans un pacha, un mutselim ou un aga, il y a deux hommes, le musulman et l’homme en place ; le musulman est presque toujours doux, poli, bon par nature ; l’homme en place est dur et tyran par état : le peuple ne connaît guère que ce dernier, et c’est ce qui explique ses jugemens. Cette observation serait peut-être applicable à d’autres pays que le pays d’Orient.

Le mutselim m’a d’abord parlé de Bonaparte, inévitable sujet de conversation dans ces contrées ; jamais nom venu d’Occident n’a retenti autant que celui de Bonaparte au milieu des nations asiatiques. Massoud-Ilmadi se rappelait, comme une des gloires de sa vie, avoir vu le héros franc à son passage à Gaza. « Vous voudriez bien l’avoir encore pour sultan, m’a dit le mutselim ; la France doit l’aimer, car il l’a portée au premier rang parmi les nations. » — « Oui, excellence, nous nous souvenons de Bonaparte ; eh ! qu’a-t-on fait dans nos pays pour le faire oublier ? Nous avons à Paris une colonne, autel indestructible au pied duquel on vient adorer le dieu. » Le mutselim, après avoir répété que Bonaparte est un grand sultan, Bounabartè soultan kébir, m’a pressé de questions sur la révolution de juillet, qu’il ne comprenait pas, disait-il. — Moi, non plus, Excellence, lui ai-je répondu ; pour comprendre les révolutions, il faudrait savoir pourquoi il arrive quelquefois que les vents grondent dans le ciel, que la mer est ébranlée dans ses derniers abîmes, que les montagnes se déchirent livrées aux feux des volcans ; Dieu ne veut point que les sociétés humaines vivent et meurent en paix ; c’est une punition que le monde doit accepter comme on accepte les maladies et les misères, tristes compagnes de la vie. — Le mutselim, redoublant de poli-