Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/279

Cette page a été validée par deux contributeurs.
275
DE LA RÉFORME COMMERCIALE.

Le système restrictif, dites-vous, est bon pour protéger un produit qui a chance de réussir.

En droit, monsieur le ministre, je vous demande qui jugera de cette chance ? Où sont-ils donc ces juges consommés dans les questions industrielles, ces prophètes dans leur pays, qui puissent ou osent prononcer que telle industrie a chance de réussir, et qu’il y a lieu d’imposer au pays, au profit de quelques fabricans, une taxe indirecte, sans contrôle et sans publicité, pour que cette chance puisse être courue par ces fabricans ? S’il se trouvait des hommes doués d’une telle perspicacité ou d’une telle présomption, quelle limite fixeraient-ils à l’expérience ? Deux ans ? Dix ans ? Un quart de siècle ? Une génération ? Sur quelle base décideraient-ils qu’il faut une prohibition plutôt qu’un droit protecteur, et vice versa ? S’ils ont choisi le droit protecteur, d’après quelle donnée, expérimentale ou scientifique, fixeraient-ils la part du marché national qui peut être laissée à l’étranger ? Sera-ce le centième, comme pour les céréales, ou le trentième, comme pour les fers, ou plus du tiers, comme pour les houilles, ou de vingt-quatre pour un, comme pour le plomb[1] ?

En fait, vos propres paroles, les expériences rapportées par vous, les applications les plus importantes du système restrictif consignées dans votre Exposé de motifs, détruisent le principe qui sert de base cependant à cet Exposé. Prenons, pour exemple, ce que vous dites sur les laines.

S’il y a une industrie que la France puisse et doive acclimater chez elle, à laquelle son sol, son climat avec toutes ses variétés, ses habitudes et le génie de ses habitans, se prête favorablement, c’est l’éducation des troupeaux. Nous en avons chez nous tous les élémens ; et, malgré une législation que tout le monde aujourd’hui reconnaît et déclare mauvaise, nous y avons fait d’incontestables progrès. Eh bien ! cependant, s’il fallait admettre votre doctrine, l’industrie des laines n’aurait chez nous aucune chance de réussir, et il faudrait la classer parmi les industries exotiques, qui ne sont pas importables, et pour lesquelles le système restrictif est impuissant et inutile. Que dites-vous, en effet, de l’influence que ce système a exercée sur cette industrie ? « Que son but n’a pas été atteint, et

  1. Si l’on compare les quantités d’importation et d’exportation des blés en France depuis 1814, on trouve que l’excédant des importations équivaut à 70 jours de nourriture pour 19 années, soit 6935 jours ; c’est donc à très peu près le centième de notre production. Quant au fer, nous en produisons 180,000,000 de kil., et nous en importons moyennement 6,000,000. Nous produisons 16,000,000 environ d’hectolitres de houille, et nous en importons 6,000,000. Nous produisons 500,000 kil., de plomb ; nous en importons 12,000,000.