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DE LA RÉFORME COMMERCIALE.

fense du système douanier ; chaque jour, en effet, dévoilait mieux la prétention de l’administration, de présenter ce système comme le résultat longuement médité d’une science économique très élevée, très supérieure à toute doctrine d’économie politique, à celle même dont elle permettait, dont elle payait l’enseignement dans les chaires publiques. Et certes, rien n’est plus propre à créer des résistances passionnées, et quand elles deviennent les plus fortes, à amener de brusques renversemens dans les institutions commerciales que de pareilles prétentions. Déjà sous l’Empire, elles s’étaient manifestées ; sous la Restauration, M. de Saint-Cricq était allé assez avant dans cette voie, pour attacher à son nom une impopularité qui, je le reconnais, dépasse les torts ou plutôt les erreurs qu’on peut lui reprocher ; M. d’Argout, après la révolution de juillet, avait persisté dans cette direction, bien que les lumières supérieures de son esprit le fissent évidemment pencher vers de plus libérales doctrines[1]. Mais M. Thiers devait dépasser tous ses prédécesseurs dans cette prétention si contraire à la vérité, à l’histoire.

Il ne faut, en effet, ni de longues ni de profondes études historiques pour découvrir l’origine et suivre la trace de ce système restrictif, conséquence nécessaire d’une des plus mauvaises et des plus oppressives institutions, abattues par le réveil de 89, les corporations. Fondées sur le principe du monopole, du privilége, complètement destructrices de toute concurrence, comment, alors qu’elles étaient assez fortes pour l’étouffer à l’intérieur, n’en auraient-elles pas obtenu la complète suppression en ce qui concernait l’étranger, aidées qu’elles étaient à cet égard par la haine profonde que l’étranger inspirait ? Écoutez le langage qu’elles parlaient ; voici ce qui se disait aux États-Généraux de 1626, et les conseils que l’on donnait au roi :

« Premièrement, nous demeurons tous d’accord que la France a ce bonheur, qu’elle se peut aisément passer de ses voisins ; ses voisins ne peuvent se passer d’elle. L’Espagne n’a pas de blé, outre qu’il est presque tout pourri, lorsqu’il arrive en ses ports, à cause de la longueur du chemin. Tout le septentrion n’a pas de vin ; nos sels, nos pastels, nos toiles, nos cordes, nos cidres, vont par tout le monde, et ne se cueillent en abondance que parmi nous. On peut donc hardiment hausser le péage, sans rien craindre, à tel point qu’il plaira au roi. La nécessité obligera ses voisins de passer par nos mains. En voulez-vous un exemple qui n’a pas

  1. M. d’Argout a, à la reconnaissance et à l’estime publique, un titre qu’elle ne doit pas oublier ; c’est sa proposition de loi sur les céréales, qu’un lourd assemblage de chiffres faux, et d’habiles manœuvres ont fait rejeter à la chambre des députés.