Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/247

Cette page a été validée par deux contributeurs.
243
REVUE. — CHRONIQUE.

qu’on aime à se reposer dans une lecture paisible et sereine. Le drame inventé par M. Jules Sandeau se noue et se dénoue entre quatre acteurs. Maxime, celui qui joue le rôle de narrateur, juge avec une sévérité, peut-être prématurée, les choses et les hommes qu’il a sous les yeux ; mais l’austérité de ses réflexions n’a rien à faire avec la déclamation guindée qui défraie si complaisamment la scène des boulevards. S’il n’a pas vécu, s’il n’a pas dans ses souvenirs de quoi justifier son inflexible morale, au moins faut-il reconnaître qu’il témoigne une réelle bienveillance pour le disciple qu’il conseille, et qu’il ne parle pas seulement pour faire bruit de sa sagesse. — Nancy, la sœur de Maxime, est une jeune fille naïve, élevée au village, qui ne sait rien du monde, qui n’envie aucune des joies qu’elle ignore, qui doit vivre et mourir pour un seul amour, qui enferme toutes ses espérances dans le cercle étroit des devoirs domestiques. Elle aime, elle est dédaignée, elle ne tente pas une nouvelle épreuve, elle n’a plus rien à faire ici bas, elle prie Dieu de la rappeler, son vœu est exaucé, elle remonte au ciel, et le monde ne l’a pas connue. — Albert, le héros du livre, est un type très neuf, abordé hardiment, et tracé d’une main habile et délicate. Ce n’est rien moins que la médiocrité ambitieuse, la rêverie impuissante, qui accuse de son abaissement et de sa nullité l’injustice des hommes, et qui plus tard se confesse et s’humilie, qui s’indigne d’abord de la pompe du spectacle où pas un rôle ne lui appartient, et qui, après avoir écouté la pièce, reconnaît franchement la mesure de ses forces, et quitte la salle sans regretter la scène. Ce caractère offrait de graves difficultés, il fallait poétiser la trivialité. Rien parmi nous n’est plus trivial que la médiocrité colère, insultant de son mépris les institutions qu’elle ne comprend pas ; l’auteur a étudié avec une attention scrupuleuse les replis de l’âme humaine aux prises avec l’impuissance ; il a été vrai sans être prosaïque. La lutte a été laborieuse, mais le succès n’a pas trompé ses espérances. — Madame de Sommerville est arrivée à cet âge qui n’est plus le tumulte des passions, et qui n’est pas encore la paix de l’âme. Elle a dépassé trente ans, elle se souvient et se défie ; mais il ne faudra qu’une étincelle imprudente pour rallumer les cendres mal éteintes. Seulement, au souvenir des épreuves qu’elle a traversées, elle puisera la force de résister. Le spectacle de la souffrance qu’elle aura faite lui commandera le dévouement, elle sacrifiera son bonheur à son devoir.

Dire le combat qui s’engage entre Nancy, Albert et madame de Sommerville, est chose inutile. Il y a dans ce volume une lecture de trois heures, rapide, émouvante, mêlée de réflexions presque médicales par leur exactitude, d’aspirations poétiques et passionnées, et tout cela encadré heureusement dans un récit naturel et limpide. J’ai surtout distingué, dans les dernières pages, un tableau fidèle et poignant de l’oisiveté imposée par l’amour. La ruine successive de toutes les facultés qui vont s’abîmer dans l’adoration et l’extase n’avait jamais été dessinée aussi fidèlement. C’est une grande leçon et une grande tristesse que ces dernières pages.