instant. Malheureusement cette qualité, l’une des plus belles du génie, entraîne avec elle une vertu fatale, et qu’il faut déplorer ; car elle est cause que des ouvrages comme Tancredi ou la Gazza, pour avoir été trop rapidement écrits, demeurent imparfaits. Lablache, que nous n’avions pas entendu depuis deux ans, rentrait par le rôle du Podesta, l’un de ceux qui semblent le moins en harmonie avec la nature de son talent. En effet, cette voix mâle et puissante, qui vibre et sonne comme les cloches d’une cathédrale, ne s’aventure pas volontiers dans les notes rapides dont cette partie abonde. N’importe, il s’est tiré d’affaire en chanteur habile, et surtout en admirable comédien. Les traits d’agilité qu’il aurait peine à rendre, il les simplifie, mais adroitement, et de telle façon que l’oreille est toujours satisfaite. Les roulades qu’il évite, il les remplace par un de ces éclats dont lui seul a le secret. Chez cet homme, l’émission seule de l’organe émeut. Le son brut de Lablache vaut la roulade agile de Tamburini. Tous deux ont un mérite égal, seulement l’un donne son or en lingot massif, tandis que l’autre le monnaye.
Après les débuts si brillans de Giulia Grisi, on était en droit d’espérer plus qu’elle n’a tenu. C’est bien là toujours une beauté calme et régulière, un visage serein et pur comme le marbre antique ; mais cette voix sonore qu’est-elle devenue ? Où sont les ornemens si délicats et fins dont elle revêtait à plaisir toute mélodie ? Aujourd’hui sa voix s’effeuille et perd son timbre métallique, et souvent frappe au-dessous du ton ou le dépasse.
La fortune de l’Opéra semble grandir. Le navire doré fend la mer à pleines voiles, et pour aller plus vite, jette à l’eau ses partitions, dont il ne garde que tout juste ce qu’il lui faut pour occuper les loisirs du public, en attendant le pas de Fanny Elssler. Du chef-d’œuvre musical de notre siècle, du Guillaume Tell de Rossini, il ne reste déjà plus au répertoire qu’une cavatine, un trio et un finale. La danse a tué la musique. M. Duponchel a mis le pied sur le front de Mozart. À qui donc s’en prendre ? sinon au goût du temps dont un directeur de théâtre, quel qu’il soit, ne fait, après tout, que subir l’influence. Quel peuple sommes-nous donc pour que la musique, le plus sensuel de tous les arts qui tiennent à l’intelligence, nous ennuie et nous lasse, et que nous en soyons venus à ne savoir jouir que par les yeux ?
Heureusement que la musique est encore en honneur au Théâtre Italien. L’enthousiasme excité chaque soir par Tamburini et Lablache est une preuve qu’il existe encore en France un public qui veut dans un opéra autre chose que des décors et de la mise en scène ; et c’est précisément ce plaisir grave et sérieux qui place le Théâtre Italien au-dessus de l’Opéra français. Le premier rustre venu s’amuse grossièrement d’un spectacle