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L’ARÉTIN.

quelques paysans récalcitrans, redemandant leur femme ou leur chevreau, se faisaient repousser à coups de dague et de pertuisanes ; de grands feux étincelaient sous les chênes épais ; et les ombres des buveurs, des joueurs et des ribauds se dessinaient fortement sur la lumière rouge des tisons embrasés. Scène digne d’un peintre. Pietro qui, malgré tout, avait le sentiment artiste, l’a conservée et décrite en prose, en vers, en sonnets et en stances. Cet aspect de ripaille et d’indépendance, ces jurons lancés et rendus, cette odeur de cuisine et de vin fumeux, cette liberté de la nuit et de la débauche, cette énergie soldatesque ; danses, chansons, baisers, fureurs, mots obscènes, mots de violence, querelles d’ivrognes, harmonie des luths et des flûtes, de l’escopèterie et des voix enrouées, du vent nocturne et des verres qui se brisaient ; tout l’émut, comme s’il eût trouvé enfin sa vraie patrie. Il fut tenté de crier avec les autres :

Et vive le Grand-Diable !

On le conduisit à ce dernier, qui était sous sa tente, au milieu du camp, à table, avec ses favoris, ses maîtresses et ses capitaines ; buvant et riant comme le dernier de ses hommes d’armes. Lucantonio, son intime, son œil droit, comme dit Arétin[1], occupait la place d’honneur. L’Arétin, nouvel arrivant, était destiné à devenir « l’œil gauche[2]. » Il eut bientôt fait connaissance : Lucantonio prévit que ce serait un rival.

Je suis sûr que ces deux hommes-là, Jean de Médicis et le poète, s’entendirent du premier mot. Jean, que M. Ginguené appelle un guerrier aimable, était un peu féroce, et passait très gaiement un millier de citoyens au fil de l’épée ; mais il aimait à rire, et l’Arétin fut le bien venu. Il lui récita ses sonnets luxurieux, qui furent une recommandation excellente. Bientôt le Grand-Diable l’adora[3]. Il lui offrit non-seulement sa table, des pourpoints de velours, de

  1. Lettere, tome i, page 114.
  2. Ibid.
  3. Io solevo ricrearmi de Medici, il quale non poteva, non voleva, e non sapeva vivere senza me, corne già sotto Milan vedeste. Ibid.