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STATISTIQUE PARLEMENTAIRE.

position est imperceptible à côté de ces masses nombreuses de boules blanches qui viennent soutenir la pensée du gouvernement. Il n’est que quelques hommes privilégiés qui conservent à la fin de leur carrière politique assez d’énergie, assez de puissance d’âme, pour rester fermes dans leurs principes d’indépendance ; le pouvoir est un abri sûr, où l’on aime à se reposer ; on y court quand la vie s’avance, comme on court au repos, à ce far niente d’une opinion toute faite que l’on accepte et que l’on n’a pas besoin d’étudier et de discuter ; on aime que d’autres pensent pour vous, agissent pour vous, décident pour vous. Et d’ailleurs comment s’est formée la chambre des pairs ? À quelles circonstances sont dues la plupart de ces grandes fournées qui ont incessamment remanié la majorité ? Prenez-en l’histoire depuis l’origine. La restauration venait de s’opérer sous l’influence de M. de Talleyrand ; elle avait trouvé un sénat muet, qui, après s’être lâchement prostitué sous l’empire, secouait sur le malheur sa servitude de quinze ans. Cette restauration avait à réhabiliter les vieilles idées de pairie qu’elle voulait associer à la noblesse de l’empire, aux maréchaux, à la partie militaire de la nation ; cent cinquante-quatre pairs furent nommés à vie. Toute l’ancienne pairie, à partir de l’archevêque de Reims, des ducs d’Uzès, d’Elbœuf, de Montbazon, jusqu’aux ducs de Polignac, de Lévis et de Maillé ; onze maréchaux, quatre-vingts sénateurs, quelques généraux de l’empire, les comtes Belliart et Curial, tels furent les pairs de cette première promotion, ouvrage de Louis xviii, de M. de Talleyrand et de M. Beugnot. En 1814, il n’y eut aucune nomination individuelle. Les cent jours éclatent ; Napoléon, par une manie d’imitation qu’on ne peut s’expliquer, créa aussi une chambre des pairs, comme il maintint le titre de lieutenans-généraux et de maréchaux-de-camp, substitué par la restauration aux grades glorieux de généraux de brigade et de généraux de division. Quelques pairs du sénat siégèrent dans cette chambre, et lorsque, par un second coup de fortune, les cent jours cédèrent devant l’époque réactionnaire de 1815, M. de Talleyrand fit exclure de la chambre des pairs tous ceux de ses membres qui avaient osé siéger dans la chambre de Napoléon. J’ai vu le travail original de cette proscription, écrit de la main du vieux diplomate. M. de Ségur est d’abord effacé, puis remis de la toute petite écriture de Louis xviii. Les pairs exclus étaient au nombre de trente, un archevêque, le comte Barrai, de vieux noms de la monarchie, tels que les Ségur, les Montesquiou, les Pontécoulant, les Praslin, les Latour-Maubourg. Par un second coup d’état de M. de Talleyrand, plus de cent gentilshommes, pris dans ce que l’émigration avait de plus pur et la noblesse de plus dévoué, furent jetés dans la chambre des pairs, et dénaturèrent tout-à-fait l’esprit de cette institution.