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UNE NOCE À CONSTANTINOPLE.

qui lui ait donné la vie publique, qu’auparavant il ne trouvait qu’à la mosquée ou à l’armée ; le café, qui eut à triompher de la rigidité des muphtis ou de la prudence timorée des sultans, a créé pour lui une sorte de communion profane qui lui est devenue indispensable ; néanmoins sa maison lui est chère. C’est là qu’il règne : il y jouit du respect de ses serviteurs, de ses enfans, de ses femmes, et il les traite avec une familiarité tempérée de réserve, avec une bonté magistrale : c’est là qu’il pratique noblement l’hospitalité envers l’étranger, et qu’il exerce sa miséricorde envers le pauvre. Certes, ce n’est ni en bonne foi, ni en justice, ni en compassion pour le malheur, que vous jugerez le Turc inférieur au chrétien : dans sa politesse, il y a de moins, en grace et en amabilité, ce que donne aux Européens un commerce habituel avec les femmes ; mais il y a de plus, en simplicité et en sincérité, ce que ce même commerce donne aux Européens de grimace et de fausseté. La politesse chez ce peuple est une bienveillance affectueuse, point gênante pour celui qui en est l’objet, ni pour celui qui en fait la dépense, ayant une rare délicatesse, en ce qu’elle n’est point une tentative continuelle d’invasion chez autrui. Le Turc respecte et veut être respecté ; il a, à un haut degré, le sentiment de la dignité personnelle. Ne le croyez point servile, parce qu’il se prosterne devant son supérieur et lui baise le bas du manteau : c’est un hommage qu’il paie sans rougir plus au rang qu’à la personne, et que le supérieur lui-même reçoit sans en être ébloui, parce que l’un et l’autre savent que le dernier des Turcs — s’il plaît à Dieu — peut parvenir aux plus hautes dignités de l’empire. En un mot, les Turcs ont de hautes vertus privées, et vraiment ces barbares, comme on les appelle, ces barbares ont du bon. Mais sortons de cette maison ; traversons à la hâte ces rues informes dont la malpropreté contraste avec la propreté de la population et celle de ses demeures, ces rues, foyer de la peste. Entrons dans un caïque, jetons une dernière fois les yeux sur ce prodigieux ensemble, tout en admirant la beauté du port, si vaste, si profond, si commode, et saluons de nos adieux Constantinople, la noble capitale de l’empire d’Orient, la digne métropole de l’église d’Orient, Stamboul, l’héritière magnifique de Damas et de Bagdad.