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pendantes ; dans ces voitures, cherchez à examiner ces dames dont plusieurs, par des traits d’une pureté exquise, accusent le sang du Caucase, mais dont il faut deviner la beauté, les diamans, la parure sous le voile et sous le manteau ; enfin, cette multitude immense d’hommes et de femmes, debouts, assis, immobiles, circulant le long de l’esplanade, dans la vallée, sur le penchant des collines, à travers les tentes vertes que terminent des banderolles rouges ou de grosses boules de cuivre, se dispersant en groupes, se disposant en amphithéâtre, formant de longues files qui s’ouvrent pour les pachas à cheval ou pour une patrouille d’infanterie, allant, venant, s’étalant sous toutes les couleurs et sous toutes les formes, s’épanouissant avec délices, sous un ciel d’azur, à la lumière du soleil, au souffle tiède du midi, à la brise du nord, aux sons de la musique militaire, à la fumée odorante du tchoubony ou du narguilé ; figurez-vous cette foule, si vous le pouvez, vis-à-vis de cette riche côte d’Asie où s’étend Scutari avec ses maisons rougeâtres, entremêlées de verdure, et colorées des derniers reflets du jour, en présence du Bosphore : vaste scène dont l’horizon s’agrandit par une ouverture sur la mer de Marmara et par l’aspect lointain de l’Olympe.

Cependant l’art n’a pas partout échoué, et les localités l’ont admirablement servi. Les deux rives du canal, éclairées depuis Scutari et Stamboul, pendant plus de trois lieues de longueur, et réfléchissant dans les eaux leur lumière variée en soleils, en rosaces, en triangles, en croissans, en chiffres impériaux, en étoiles, en pièces d’artillerie, en pyramides, en arcs de triomphe, ou adaptée au dessin des édifices ; la flotte éclairée par tous ses sabords ; les collines éclairées dans tous les campemens : voilà une illumination qui n’a jamais été surpassée. Un soir, nous restâmes sur une des hauteurs pour contempler cette scène de féerie. Les feux d’artifice étaient terminés, la foule des spectateurs retirée, les tentes fermées, le bruit éteint. Alors, derrière les montagnes d’Asie, la lune se leva ; elle monta, encore inarrondie dans son orbe, et elle laissa tomber sa clarté argentée sur l’éclat doré des illuminations : il nous sembla que c’était le génie de la femme, de la femme captive encore sur cette terre et voilée, qui, à l’heure de la solitude et du silence, apparaissait mystérieusement.