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pour des bienfaits et une protection légitimes. Non, non, on n’est pas corrompu avec un regard si brillant et si doux, avec une si merveilleuse jeunesse de beauté, avec cette démarche fière et franche, avec ce son de voix harmonieux et ces manières affables. Je l’ai vue s’occuper d’un enfant malade ; la beauté, la bonté chez une femme s’appellent et se soutiennent ! Le Dieu des bonnes gens, que tu invoquais tout-à-l’heure, je l’invoque aussi pour qu’il me préserve d’apprendre ce que je ne veux pas croire, le vice sous des dehors si touchans, un insecte immonde dans le calice d’une fleur embaumée ! Non, Paul, retournons au village avec cette jolie apparition de duchesse dans la mémoire, et, si nous écrivons jamais quelque roman de chevalerie, souvenons-nous bien de sa taille, de ses cheveux, de ses belles dents, de son beau regard et du soleil du parc à midi.

Nous quittâmes le banc de pierre, et mon ami, revenant à sa première idée, me dit : — D’où vient donc que les hommes (et moi tout le premier en dépit de moi-même) sont si jaloux des dons de l’intelligence ? Pourquoi ceux-là seuls obtiennent-ils des couronnes immortelles, sans le secours d’aucune vertu, tandis que la plus pure honnêteté, la bonté la plus tendre demeurent ensevelies dans l’oubli, si le génie ou le talent ne les accompagne ? Sais-tu que cela est triste et prouverait à des ames chancelantes que la vertu est peine perdue ici-bas ? — Si tu la considères comme une peine, lui répondis-je, c’est en effet une peine perdue. Mais n’est-ce pas une nécessité douce, une condition de l’existence, dans les cœurs qui l’ont comprise de bonne heure et de bonne foi ? Les hommes la paient d’ingratitude, parce que les hommes sont bornés, crédules, oisifs, parce que l’attrait de la curiosité l’emporte chez eux sur le sentiment de la reconnaissance et sur l’amour de la vérité ; mais, en servant l’humanité, n’est-ce pas de Dieu seul qu’il faut espérer sa récompense ? Travailler pour les hommes dans le seul but d’être porté en triomphe, c’est agir en vue de sa propre vanité, et cette sorte d’émulation doit s’éteindre et se perdre dès les premiers mécomptes qu’elle rencontre. N’attendons jamais rien pour nous-mêmes quand nous entrons dans cette route aride du dévouement. Tâchons d’avoir assez de sensibilité pour pleurer et pour jouir seuls de nos revers et de nos succès. Que notre propre