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ai pas maudite une minute. Je me suis dit que peut-être ma passion n’avait pas été assez grande pour mériter la vôtre, et qu’il fallait une ame plus haute et plus brûlante que la mienne pour se faire comprendre de vous. Je me suis dit aussi que vous ne me tromperiez pas ; que si vous aviez cessé de m’aimer, vous me le diriez, quand je viendrais vous supplier, au nom de vos enfans et de votre mère, de me faire connaître, si terrible qu’elle soit, cette vérité que je me sens la force d’écouter. Dédaignez de m’abuser, Thécla, et vous aurez fait la plus noble action que jamais une femme ait faite, et je vous adorerai encore, et je vous honorerai comme une sainte. Thécla, vous êtes faite pour comprendre quel grand et noble rôle je vous offre là ; voyez-vous, il ne faut pas dédaigner une amitié dévouée, éternelle et sincère comme celle que je mets à vos pieds. Si vous avez changé, eh bien ! c’est ce qu’ont fait tant d’autres femmes ; c’est ce qui peut s’oublier et se pardonner un jour, quand ma douleur sera usée. Mais méprisez la misérable routine du monde, ne me trompez pas, traitez-moi en homme, mettez le feu sur ma plaie, c’est le seul moyen qu’elle guérisse. Soyez généreuse, Thécla ; sois généreuse, je te le demande à genoux.

Tandis que Henri parlait, la pâleur de Thécla avait toujours augmenté ; elle ressemblait en ce moment à une statue d’albâtre. — Et c’est vous qui m’accusez, Henri ! Je ne vous reproche pas le sacrifice de ma vie, que je vous avais fait. Non, je sais que j’ai reçu de vous bien plus que je ne puis vous donner ; mais ne me faites-vous pas mourir avec vos horribles soupçons ? Savez-vous bien, Henri, que vous, vous seul dans l’univers, vous n’avez pas le droit de m’accuser ? Sans l’amour que j’ai pour vous et que nous avions cru cacher, je n’aurais que des vengeurs et des amis dans le monde. Maintenant, qu’ils savent que mon cœur ne sera jamais à aucun d’eux, et qu’ils voient combien je les dédaigne, l’indulgence qu’ils avaient pour moi s’est changée en haine et en amertume ; il n’est pas une de mes pensées qu’on ne travestisse ; je ne fais pas une démarche qu’on ne m’attribue une intention coupable ; c’est sur moi que s’exerce la calomnie de tous les désœuvrés ; c’est contre moi que se dirige tout le fiel des méchans ; mes amis passés eux-mêmes sont mes persécuteurs aujourd’hui. Ils excusaient toutes mes actions ; ils les enveniment toutes. Mais ne croyez pas que je souffre