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de ses souvenirs vigilans, de sa science encore toute saignante, et qui devrait lui conseiller le repos.

Ainsi posé, le caractère de Jacques est une création grande et singulière ; quel que soit le drame où s’engagera cet acteur, il ne pourra manquer d’exciter un intérêt sérieux. Il sait, il aime, il prévoit ; au jour du malheur que fera-t-il ? aura-t-il le droit de se réfugier dans la colère et la vengeance ? pourra-t-il, sans se dégrader, démentir par l’étonnement la sécurité de sa pensée ?


Fernande a seize ans. Elle s’éveille à la vie, crédule et confiante ; elle est pleine de grâce et de puérilité. Sa rêverie ingénue ne va pas au-delà du bonheur. Elle croit aux amours éternelles, à la sérénité permanente des affections, aux fidélités faciles et joyeuses. Elle n’entrevoit dans l’avenir qu’une fête perpétuelle ; sa voix, comme celle des oiseaux sous la feuillée, ne s’élève que pour remercier Dieu et le glorifier dans sa reconnaissance.

Ses premières années n’ont été troublées par aucun enseignement prématuré. Son ame impatiente n’a pas devancé les jours inconnus. Elle ignore les brûlantes insomnies et les aspirations délirantes ; elle a dormi innocente et pure sans jamais demander à Dieu de changer sa destinée. Ses jours harmonieux et pareils ont passé sans bruit et sans murmure comme l’eau d’une source vive sur la grève et la mousse.

Heureuse et fière entre toutes les filles de son âge, elle attend l’amour pour s’épanouir, comme la fleur de la prairie attend le soleil et la rosée ; sa beauté grandit sans regret et sans colère ; son œil se voile et sa joue se colore, mais ses larmes et sa rougeur ignorent le chagrin et la honte. Elle frémit sous le vent qui agite ses cheveux, sa lèvre frissonne et pâlit comme sous un baiser. Mais quand l’air s’apaise, quand les feuilles se reposent, Fernande s’étonne de son émotion, et ne cherche pas dans un avenir impénétrable le secret de cette passagère inquiétude.

Elle n’a pas dépravé son ame au récit des passions égoïstes ; elle n’a pas maudit la société qu’elle ignore ; elle n’a pas appris dans ses lectures clandestines à défier le monde et à le mépriser ; elle ne s’est pas imposé, comme un point d’honneur, l’isolement et la lutte. C’est à peine si elle conçoit le courage, tant elle est loin de pré-