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ON NE BADINE PAS AVEC L’AMOUR.

PERDICAN (seul.)

Que ce soit un crime d’ouvrir une lettre, je le sais trop bien pour le faire. Que peut dire Camille à cette sœur ? Suis-je donc amoureux ? Quel empire a donc pris sur moi cette singulière fille, pour que les trois mots écrits sur cette adresse me fassent trembler la main ? Cela est singulier ; Blazius, en se débattant avec dame Pluche, a fait sauter le cachet. Est-ce un crime de rompre le pli ? Bon, je n’y changerai rien.

(Il ouvre la lettre et lit.)


« Je pars aujourd’hui, ma chère, et tout est arrivé comme je l’avais prévu. C’est une terrible chose ; mais ce pauvre jeune homme a le poignard dans le cœur, il ne se consolera pas de m’avoir perdue. Cependant j’ai fait tout au monde pour le dégoûter de moi. Dieu me pardonnera de l’avoir réduit au désespoir par mon refus. Hélas ! ma chère, que pouvais-je y faire ? Priez pour moi ; nous nous reverrons demain, et pour toujours. Toute à vous du meilleur de mon ame.

« Camille. »


Est-il possible ? Camille écrit cela ? C’est de moi qu’elle parle ainsi ? Moi au désespoir de son refus ? Eh ! bon Dieu ! si cela était vrai, on le verrait bien ; quelle honte peut-il y avoir à aimer ? Elle a fait tout au monde pour me dégoûter, dit-elle, et j’ai le poignard dans le cœur ? Quel intérêt peut-elle avoir à inventer un roman pareil ? Cette pensée que j’avais cette nuit, est-elle donc vraie ? Ô femmes ! Cette pauvre Camille a peut-être une grande piété ; c’est de bon cœur qu’elle se donne à Dieu, mais elle a résolu et décrété qu’elle me laisserait au désespoir. Cela était convenu entre les bonnes amies, avant de partir du couvent. On a décidé que Camille allait revoir son cousin, qu’on le lui voudrait faire épouser, qu’elle refuserait, et que le cousin serait désolé. Cela est si intéressant, une jeune fille qui fait à Dieu le sacrifice du bonheur d’un cousin ! Non, non, Camille, je ne t’aime pas ; je ne suis pas au désespoir. Je n’ai pas le poignard dans le cœur, et je te le prouverai. Oui, tu sauras que j’en aime une autre, avant que de partir d’ici. Holà ! brave homme !

(Entre un paysan.)

Allez au château, dites à la cuisine qu’on envoie un valet porter à Mlle Camille le billet que voici.

(Il écrit.)
LE PAYSAN.

Oui, monseigneur.

(Il sort.)
PERDICAN.

Maintenant, à l’autre. Ah ! je suis au désespoir ? (Il frappe à une porte.) Holà ! Rosette, Rosette !