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REVUE. — CHRONIQUE.

dans la chambre des procuradorès tous les débris du vieux libéralisme de l’émigration combattre la première des libertés constitutionnelles, par des argumens empruntés à M. de Bonald, à M. de Labourdonnaye, et même à M. de Sallaberry. C’est là toute l’instruction qu’ils ont recueillie dans leur long séjour en France pendant la restauration, c’est tout ce que le malheur et l’exil leur ont enseigné. Ferdinand vii eut grand tort de redouter de pareils hommes. Il fallait leur ouvrir les portes de l’Espagne qui leur furent si long-temps fermées, et qu’ils n’eurent pas l’énergie de forcer quand il y avait quelque courage à le faire. Avec de tels ministres, l’Espagne perdrait bientôt toutes ses antiques libertés provinciales, sans gagner la liberté constitutionnelle qui là peut-être ne les vaut pas. Ce malheureux Martinez de la Rosa, qui se montrait si empressé d’échapper à la censure de M. de Corbière, déclare aujourd’hui que la monarchie dont il est le ministre ne peut subsister avec la liberté de la presse ! Il est vrai que c’est aussi le langage que tiennent M. Thiers et ses amis. On doit s’attendre à recevoir bientôt la nouvelle de la retraite forcée de M. Martinez de la Rosa et de son digne collègue Torreno.

Les derniers jours de cette quinzaine sont marqués à Paris par un grand calme. Le roi est parti pour visiter ses domaines, emmenant avec lui M. Thiers, qui ne demande qu’à ne pas s’occuper des affaires de son ministère ; M. Duchâtel chasse, M. de Rigny se promène, le maréchal Gérard est toujours malade, et M. Guizot attend avec sagacité les évènemens. La société de Paris, si active, si ardente, si mêlée par goût à toutes les affaires politiques, est absente tout entière. Les femmes de Paris surtout se sont lancées au loin ; on les trouve éparses sur toutes les routes de la Suisse, à Naples, à Vienne, à Venise. Les eaux ont eu peu d’attraits pour elles cette année. La mode est aux voyages. Si ce goût augmente un peu, l’été prochain on les verra en Égypte, à Alger, aux ruines de Thèbes, ou assises sur les dernières colonnes d’Athènes. On se prépare déjà cependant aux plaisirs de l’hiver, qui sera plus brillant que jamais, s’il faut en juger par les apparences. Un grand nombre d’étrangers de distinction se sont donné rendez-vous à Paris pour y vivre avec magnificence. Lord Grey, entr’autres, se fait meubler un hôtel.

L’Opéra reçoit des lettres de change de Vienne, de Londres et de Berlin, pour la location de ses loges, et l’on s’y prépare à mériter cette vogue européenne. Aujourd’hui même doit avoir lieu la première représentation de La Tempête, délicieux ballet, dit-on, d’une magnificence digne du lieu, où débutera Fanny Essler, célèbre à Londres par sa danse originale et gracieuse, et à Vienne par l’amour qu’elle avait inspiré au malheureux duc de Reichstadt. On annonce aussi la prochaine représentation d’un opéra de M. Halevy dont on dit la musique fort belle, puis un opéra de M. Meyerbeer, et des bals d’un effet tout nouveau.

L’Opéra-Italien sera aussi très-brillant. Avec Tamburini, Rubini, Lablache et Ivanoff, viendront, à la fin de ce mois, Julie Grisi, Mmes Finck-Loor et Brambilla. Le Mariage secret de Cimarosa, les Puritains de Bellini, et le Faliero de Donizetti, seront chantés par cette belle troupe.