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ON NE BADINE PAS AVEC L’AMOUR.

PERDICAN, se levant.

En voilà un ; je ne crois pas à la vie immortelle. — Ma sœur chérie, les religieuses t’ont donné leur expérience ; mais, crois-moi, ce n’est pas la tienne ; tu ne mourras pas sans aimer.

CAMILLE.

Je veux aimer, mais je ne veux pas souffrir ; je veux aimer d’un amour éternel, et faire des sermens qui ne se violent pas. Voilà mon amant.

(Elle montre son crucifix.)
PERDICAN.

Cet amant-là n’exclut pas les autres.

CAMILLE.

Pour moi du moins, il les exclura. Ne souriez pas, Perdican ! Il y a dix ans que je ne vous ai vu, et je pars demain. Dans dix autres années, si nous nous revoyons, nous en reparlerons. J’ai voulu ne pas rester dans votre souvenir comme une froide statue ; car l’insensibilité mène au point où j’en suis. Écoutez-moi : retournez à la vie, et tant que vous serez heureux, tant que vous aimerez comme on peut aimer sur la terre, oubliez votre sœur Camille ; mais, s’il vous arrive jamais d’être oublié ou d’oublier vous-même, si l’ange de l’espérance vous abandonne, lorsque vous serez seul avec le vide dans le cœur, pensez à moi qui prierai pour vous.

PERDICAN.

Tu es une orgueilleuse ; prends garde à toi.

CAMILLE.

Pourquoi ?

PERDICAN.

Tu as dix-huit ans, et tu ne crois pas à l’amour ?

CAMILLE.

Y croyez-vous, vous qui parlez ? Vous voilà courbé près de moi avec des genoux qui se sont usés sur les tapis de vos maîtresses, et vous n’en savez plus le nom. Vous avez pleuré des larmes de joie et des larmes de désespoir ; mais, vous saviez que l’eau des sources est plus constante que vos larmes, et qu’elle serait toujours là pour laver vos paupières gonflées. Vous faites votre métier de jeune homme, et vous souriez quand on vous parle de femmes désolées ; vous ne croyez pas qu’on puisse mourir d’amour, vous qui vivez et qui avez aimé. Qu’est-ce donc que le monde ? Il me semble que vous devez cordialement mépriser les femmes qui vous prennent tel que vous êtes, et qui chassent leur dernier amant, pour vous attirer dans leurs bras avec les baisers d’un autre sur