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REVUE DES DEUX MONDES.

piations : M. Ballanche concevait, dès cette époque de 1824, la Vision d’Hébal qui n’en est qu’un épisode et qu’il écrivit en 1829. — Des trois grands poèmes philosophiques, Orphée seul a paru au complet ; mais outre la Vision d’Hébal, on a des fragmens et chapitres des deux autres ouvrages que les Prolégomènes nombreux et féconds, en entier publiés, déterminent suffisamment. Toutefois, si, malgré quelques lacunes, la pensée de ces parties inédites est déjà saisissable, on ne peut également en apprécier la forme et l’art ; l’ensemble du monument est en souffrance ; nous aimons à espérer que l’auteur ne tardera pas à y donner l’harmonie de son premier dessin.

Ce serait ici le lieu, si nous le voulions, d’offrir une exposition générale de la doctrine de M. Ballanche ; mais assez d’autres l’ont fait, M. de Givré, l’un des premiers, au Journal des Débats, M. d’Ekstein dans le Catholique, M. de Châteaubriand dans la préface de son beau livre des Études, M. Barchou de Penhoën dans cette Revue des deux Mondes, M. Lavergne à Toulouse. — Nous dirons quelques mots de l’Orphée.

L’Orphée n’est pas une tentative qui aille à recomposer une antique réalité ; ce n’est pas une restitution poétique, et poétiquement aussi vraisemblable que possible, d’une époque évanouie. Le poète ne s’est inquiété que d’évoquer l’esprit général de ces temps, de le faire circuler abondamment çà et là ; quant aux détails, il n’a pas cherché à les mettre en rapport exact avec les débris qui se sont conservés. Ce n’est pas en étudiant, par exemple, les fragmens attribués à Orphée, qu’il s’est préparé à faire parler son personnage. De même dans les peintures qu’il nous donne de cet ancien monde, il n’a pas visé à retrouver en géologue l’aspect réel, persuadé que ce serait toujours un paysage très aventuré. Il n’a donc tenu qu’à se faire l’organe d’un certain esprit général et intime avec lequel il se sentait en communication, et il a pris d’avance son parti sur l’invraisemblance (je parle de l’invraisemblance poétique) du langage et de beaucoup de peintures. Évandre et Thamyris parlent entre eux de cosmogonie, de patriciat et de plébéianisme, presque comme auraient pu faire Niebuhr et M. Ballanche ; les vieilles expressions latines, les étymologies essentielles de Vico ont passé intégralement dans leur langage ; et tout à côté de ces paroles anti-