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comprirent et admirent la révolution de juillet dès sa première heure. Il arriva alors à la pensée de M. Ballanche ce qu’il a dit de la pensée humaine en général ; son idée s’émancipa de cette forme de la restauration où elle avait voulu trouver asile, et, devenue plus libre, elle plana dans des cercles indéfinis. C’est même à partir de 1830, que les doctrines de M. Ballanche ont fait le plus de chemin par le monde, et qu’elles ont remué le plus d’esprits religieux et penseurs dans la jeunesse.

Entre l’Essai et l’Homme sans nom, M. Ballanche publia, en 1819, le Vieillard et le Jeune Homme, enseignement philosophique plein d’autorité et de grâce. Un critique d’un bon sens si spirituel, M. Saint-Marc Girardin, citait récemment les consolations de Jean Chrysostôme à son jeune ami Stagyre, comme s’appliquant à bien des âmes d’aujourd’hui. Le Jeune Homme de M. Ballanche est atteint d’un mal tout-à-fait semblable ; il désespère de la société et de lui-même ; il voit des ruines en lui, autour de lui, et il les aime, et il ne veut pas s’en arracher. C’est une généreuse passion de la mort, le culte sombre des idées vaincues, une abjuration stoïque de l’avenir. Il y a beaucoup de ces nobles ames ; mais il y en a encore plus qui pèchent et souffrent par excès d’espérances, par anticipation dévorante et immodérée, par immersion éperdue dans la grande souffrance sociale. Ce mal est si beau dans de tendres jeunesses, il tient de si près au dévouement et à l’amour des hommes, il est pour ainsi dire si sacré, qu’on est tenté de l’envier pour soi, bien loin d’essayer chez d’autres de le guérir. Et pourtant comme il aboutit en d’âpres mécomptes, comme il vous use à des réalisations impossibles ici bas, comme il vous jette à la merci des systèmes universels, qui n’ont en eux ni la vraie morale dont ils se passent, ni le bonheur délirant dont ils vous leurrent, il est bon d’y opposer l’avertissement, et ce que M. Ballanche disait à son jeune désespéré de 1819 pourrait s’adresser fructueusement à beaucoup des jeunes néophytes qui embrassent les siècles et l’univers : « Je veux essayer, mon fils, de guérir en vous une si triste maladie, état fâcheux de l’âme, qui intervertit les saisons de la vie, et place l’hiver dans un printemps privé de fleurs. » — La destinée de l’homme se compose, en effet, de deux destinées qu’il doit simultanément accomplir, une destinée individuelle proportionnée à son temps de