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doctrine radicalement contraire aussi sur la fondation de la société, et par conséquent (qu’ils s’en rendissent compte ou non) sur l’origine du langage. Les ultra-royalistes ou illibéraux devaient croire à la société instituée divinement, au langage révélé, à l’autorité de la tradition ; et les libéraux, à la société formée par contrat, au langage inventé par l’homme, à l’émancipation graduelle et au progrès. En examinant cette double prétention si opposée et si ferme, M. Ballanche ne put croire que le droit fût exclusivement d’un côté, et au lieu de prendre parti avec MM. de Bonald et de Maistre pour l’antique tutelle, ou avec Condorcet et Saint-Simon pour l’émancipation purement humaine, il s’avança, un rameau de paix à la main, pour expliquer comment chacun avait tort et avait raison, pour accorder aux uns la vérité dans le passé, aux autres le règne dans l’avenir. Il montra avec M. de Bonald et les catholiques que la parole n’a pu être inventée primordialement, qu’elle a été nécessaire et préexistante à la pensée, qu’elle a été donnée par Dieu à l’homme naturellement social ; mais, en arrivant aux temps de la parole écrite et imprimée, il montrait avec les autres philosophes la pensée humaine s’affranchissant peu à peu du joug de cette parole devenue plus matérielle et plus pesante, brisant l’enveloppe, acquérant des ailes, et dès-lors s’élançant librement à de nouvelles croyances sociales, à de nouvelles interprétations religieuses. Toutefois, M. Ballanche ne portait pas l’horizon le plus lointain de cette émancipation moderne au-delà des limites du christianisme lui-même ; il proclamait la perfection de celui-ci en tant qu’institution spirituelle et divine, et s’il croyait que les sociétés humaines dussent se gouverner désormais selon une loi de liberté, le résultat de cette action immense ne lui semblait pouvoir être autre chose que l’introduction de plus en plus profonde du christianisme dans la sphère politique et civile. Une doctrine de conciliation si haute en des instans si irrités ne fut que peu saisie, comme bien l’on pense, et, auprès du petit nombre de ceux qui la comprirent, elle ne fut accueillie ni dans un camp ni dans un autre. Les vues très avancées et d’une sagacité presque divinatoire que l’auteur exprimait sur l’avenir littéraire et poétique de la France, ses éloquens et ingénieux présages à ce sujet, un an avant l’apparition de M. de Lamartine, compliquaient encore la question de