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POÈTES ET PHILOSOPHES MODERNES DE LA FRANCE.

tentative humaine, et un prêtre tolérant qui maintient la science et la croit conciliable avec une religion élevée. « Comment, s’écrie en finissant le narrateur, comment un jeune homme paraît-il détrompé à ce point de toutes les choses de la vie ?… Voyez, il ne sait accueillir aujourd’hui que l’ironie terrible de Pascal ; demain peut-être il sera dompté par le puissant génie de Bossuet : heureux si, le jour suivant, il vient à prendre goût aux chants mélodieux de Fénelon, lorsqu’il charme notre exil par les plus douces paroles qui se soient trouvées jamais sur les lèvres d’un habitant de la terre ! » L’ombre de Fénelon prit donc de bonne heure par la main M. Ballanche et le tira de la crainte, et le préserva de l’obstination dans des ruines ; il espéra ; et, plus tard, devenu prêtre à son tour, prêtre à demi voilé du plébéianisme grandissant, aimant à voir dans Fénelon le véritable fondateur de l’ère actuelle, le voilà qui marche et continuera, à travers tout, de marcher vers l’avenir, comme un de ces tranquilles vieillards de son maître, comme un Aristonoüs serein et patient, souriant de loin sous ses bandelettes à quelque ami qui s’avance, le long du sable fin des mers.

Le livre du Sentiment, publié en 1801, ne passa point sans être remarqué de quelques-uns ; les journaux de Paris s’en occupèrent. J’ai sous les yeux trois articles favorables et fort judicieux du Journal de Paris (de germinal an x) ; ils sont écrits au point de vue du christianisme pratique, et l’usage tout poétique et sentimental qu’on fait de la religion y est indiqué comme un danger ou du moins comme un affaiblissement d’une chose auguste et sévère. « Au reste, dit en finissant le critique anonyme, on nous annonce depuis long-temps, et je crois même qu’on publie déjà un ouvrage plus considérable ayant, dit-on, pour titre : Des Beautés poétiques, ou seulement Des Beautés du Christianisme, et dont ce livre-ci paraît être l’avant-coureur ; semblable à ces petits aérostats qu’on a coutume de faire partir avant les grands pour juger des courans de l’atmosphère. Puissent-ils tous les deux, et tous ceux qui seront remplis du même esprit, avoir assez de force ascendante pour élever tout ce qui s’y attachera, vers une sphère plus heureuse ! » Le Journal des Débats montra moins d’indulgence ; ce journal, dans son premier brillant, avec son état-major critique au complet, était alors en tête de la réaction classique, et contri-