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des observatoires, elles sont en si grand nombre, qu’on pourrait croire que tout le peuple d’Égypte s’occupait d’astronomie ; nous avons à Paris un observatoire, et c’est bien assez pour loger tous nos astronomes ; que dirait-on dans la postérité, si vingt ou trente observatoires s’élevaient dans la plaine de Montrouge ? Il me paraît donc bien évident que les pyramides n’avaient pas pour objet l’observation du firmament. Reste la question des tombeaux ; je me décide ici pour l’affirmative, et j’ai beaucoup d’autorités à citer pour cette opinion. Je raisonnerai plus longuement sur ce point, quand je verrai de plus près ces monumens. Tout ce que je puis faire dans mon étroite cabine, c’est d’admirer comment ces merveilles sont restées debout en dépit des siècles ; on peut les considérer, s’il m’est permis d’employer cette expression, comme la plus grande bataille que le génie de l’homme ait jamais livrée au temps. Aussi la vanité humaine en a-t-elle triomphé ! elle a pu voir avec indifférence les hauteurs de l’Atlas, du Taurus et du Liban, mais en voyant des montagnes de pierre, sorties des mains de l’homme, en voyant leurs cimes éternelles, elle a battu des mains.

Au reste, les pyramides sont comme l’Égypte elle-même ; ce pays ne nous intéresse pas seulement par ses merveilles, mais par les mystères qui couvrent son histoire ; lorsque l’Égypte sera complètement connue, et qu’on passera du domaine des conjectures à celui des faits, lorsqu’il ne sera plus permis de bâtir des systèmes sur tout ce qu’on y voit, et que l’imagination ne sera plus pour rien dans les relations des voyageurs, il est possible que ce pays excite moins d’intérêt, et qu’il attire moins notre curiosité et notre attention.

Mais tandis que je me livre ainsi à de vagues réflexions, j’entends crier autour de moi : Les pyramides ! les pyramides ! Je suis sorti de notre cabine, et les trois pyramides de Giseh nous ont apparu dans l’horizon lointain. Nos mariniers nous disent qu’elles sont à une distance de plus de huit lieues. Elles s’élèvent sur une surface plane et sous un ciel blanc ; l’espace qui nous en sépare les fait paraître diaphanes : le sentiment qu’on éprouve au premier aspect est difficile à définir ; c’est l’inspiration sévère de la solitude, mêlée à celle du ciel et de ses merveilles ; c’est la mystérieuse Égypte qui sort du cercueil et qui lève sa tête vers le firmament ; le pro-