Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 3.djvu/679

Cette page a été validée par deux contributeurs.
675
LETTRE SUR L’ÉGYPTE.

de sable y annoncent plus fréquemment le voisinage du désert ; les habitans ont l’air plus sauvage. Nous n’avons point débarqué à Terranéh, que nous avons laissé à notre droite ; c’est là qu’est le dépôt du natron que le pacha tire des lacs de Nitrie, et qu’il fait transporter à Alexandrie par des caravanes. Je regrette de n’avoir pu faire quelques courses dans cette partie des déserts de la Libye ; j’aurais voulu visiter ce fleuve sans eau où l’imagination des Arabes a vu des navires pétrifiés, et cette solitude habitée autrefois par les deux Macaire. De toutes les lectures que j’ai faites en ma vie, aucune ne m’a laissé plus de souvenirs que l’histoire des pères du désert ; leur abstinence et leurs mortifications tenaient du prodige. Les solitaires de Scetté jeûnaient tous les jours de l’année ; on s’accusait parmi eux d’avoir mangé une grappe de raisin, d’avoir bu de l’eau toutes les fois qu’on avait soif, d’être resté une heure sans travailler et sans prier. C’est là que se pratiquait une humilité inconnue parmi les hommes, et qu’on poussait jusqu’à l’excès l’amour de la pauvreté ; un des hôtes du désert ayant laissé en mourant une somme de cent écus, les uns proposaient de la donner aux pauvres, d’autres à l’église : « Que ce trésor, dit Macaire, suive au tombeau les dépouilles du défunt, et qu’il périsse avec celui qui l’a possédé. » Vous voyez jusqu’à quel point les anachorètes de Nitrie méprisaient la richesse ; je veux vous montrer comment ils traitaient la gloire : un jeune homme d’Alexandrie se présenta pour vivre au milieu des solitaires ; Macaire, auquel il s’adressa, voulut l’éprouver. — Allez, lui dit-il, dans le cimetière qui est proche, adressez-vous aux morts, et dites à chacun tout ce qu’on peut dire à un homme de plus injurieux. — Le jeune homme fit ce qui lui était commandé, et lorsqu’il revint, Macaire lui demanda ce qu’on lui avait répondu. — Rien. — Eh bien ! retournez et faites le tour du cimetière, en chantant les louanges de tous ceux qui y sont ensevelis. Le jeune néophyte obéit, et revint. — Qu’ont dit les morts ? — Rien. — Profitez donc de la leçon, dit le vieux solitaire ; imitez l’indifférence des morts pour les jugemens des hommes, et vous vivrez pour Jésus-Christ. — Voilà quelle était la philosophie du désert de Scetté ; croyez-vous, mon cher ami, qu’on ait jamais entendu d’aussi belles paroles dans Saïs, dans la ville de Minerve, dans la ville où Solon et Platon allaient apprendre la sagesse ?