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REVUE. — CHRONIQUE.

toute la durée du ministère de M. Soult. La tribune, la presse, ont tour à tour reproduit les plus scandaleux détails. Les marchés de fusils et de sabres-poignards, les remontes, les fournitures d’effets d’équipement, de draps, de grains, de fourrages, paraissent évidemment avoir été la source des transactions les plus honteuses. Enfin le trafic des places complèterait, dit-on, le tableau de ces désordres, et la seule incertitude qui régnerait à cet égard serait dans le choix du coupable. Ces faits ont acquis une déplorable notoriété. Aujourd’hui une justification tardive n’est pas de mise. Le maréchal Gérard a conçu, dit-on, l’espoir d’obtenir une gestion pure et fidèle des agens corrompus que lui a légués M. Soult. Il paraît peu probable que des gens habitués aux transactions sous la cheminée, aux pots-de-vin, puissent jamais revenir à des idées de droiture et de probité. Quelques faits récens démontrent, en effet, qu’à chaque instant le nouveau ministre les prend en flagrant délit de dissimulations de dépenses, de violations de budget ; et comme les investigations d’un homme d’état ne peuvent s’étendre à tous les détails, il y a lieu de croire que, maintenant comme devant, les intrigans font leurs affaires. Comment pourrait-il en être autrement, quand on voit certains chefs de l’administration de la guerre entretenir ouvertement les relations les plus intimes avec les banquiers de fournitures, les courtiers d’affaires et les vieilles intrigantes, qui, déjà sous le directoire, étaient initiés à tous les tripotages, et prenaient leur part de toutes les dilapidations. Le maréchal Gérard, s’il conservait une administration inféodée à de semblables souillures, ne pourrait parvenir à diminuer le chiffre de son budget que par des réductions dans les cadres ; ce serait, du reste, une singulière manière de prouver aux chambres qu’on a pris au sérieux les recommandations de l’adresse relativement aux agens sûrs et fidèles, que de se présenter devant elle avec l’entourage de M. Soult, flétri tant de fois à la tribune.

Un journal ministériel s’étonnait, il y a peu de jours, de ce qu’on eût pu supposer que le maréchal Gérard songeât un seul instant à congédier les chefs de ces bureaux qui, en 1830, furent presque tous honorés de sa confiance. D’abord rien ne démontre que la confiance accordée, il y a quatre ans, ait été justifiée par une gestion probe et économique, et peut-être pourrait-on aisément établir que les scandales qui régnèrent de 1831 à 1834 prirent naissance en 1830. Ce n’est ici ni le lieu ni le moment de se livrer à une discussion de cette nature. Mais s’il était vrai que ces bureaux, vertueux, dit-on, en 1830, se fussent contaminés sous une direction corruptrice, il faudrait déplorer l’aveuglement d’un ministre honnête homme qui croirait pouvoir les purifier par le reflet de sa probité, et qui ne craindrait pas de jouer sa réputation, jusqu’ici sans tache, contre des chances aussi évidemment défavorables.

Quelques personnes, qui ne croiraient aux pots-de-vin que si elles en voyaient les quittances, invoquent, pour prouver la bonne foi de l’administration de la guerre, le système d’adjudication introduit dans la plupart des services. Voici quelques détails qui indiqueront la confiance que l’on doit avoir dans cette apparente bonne foi. Les adjudications ont lieu sur soumissions cachetées, déposées entre les mains du président d’une