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et solitaire, comme dans Manfred, ou bien elles s’étaient emportées au crime et au brigandage, comme dans Lara et le Corsaire. Voici que la douleur enfante le dévouement. Lorenzo, caractère fondamentalement nouveau, cherche dans ses plaies et malgré sa débauche la rédemption de sa patrie.

Mais à considérer dans ce beau drame, autour de cette mélancolique figure, les physionomies diversement groupées et l’action elle-même, on y trouve immensément encore de grandeur, de force, de souplesse et d’élévation.

Lorenzo, venu aux derniers efforts de la république de Florence, issu des Médicis, voyant sa patrie opprimée par l’un d’eux au profit de l’Allemagne, se voue au libertinage comme Junius s’était voué à la folie. Il s’environne de honte pour cacher sa vertueuse pensée de sacrifice. Son cousin Alexandre ne peut rien soupçonner, ni redouter de ce mignon amaigri, que la proposition d’un cartel fait défaillir, qui a tant flétri d’honneurs dans la ville, qui lui a tant vanté et livré de vierges. Aussi, Alexandre court sans crainte à la débauche et s’en repaît au milieu de son aristocratie gâtée. Il rencontre un jour une femme, la marquise de Cibo (une pure et belle invention), qui, tiède encore des larmes républicaines répandues sur la servitude de Florence, accepte la cour du tyran pour le dissuader du despotisme. Alexandre se soucie peu de cet amour démocratique. Ce sera donc la vengeance qui fera l’œuvre. Mais les Strozzi, ces nobles restés fidèles à la vieille liberté, et fermes, n’ont pas le courage et la promptitude nécessaires à l’action. Philippe Strozzi, le chef de cette famille sévère, blanche et grande tête, n’a servi l’égalité que par le culte de sa pensée. C’est à lui que Lorenzo se révèle un jour. L’intègre vieillard est dépassé par l’idée d’un dévouement si péniblement préparé. Cette scène a des effets tout-puissans, et des recherches si avancées du cœur humain, qu’on partage vraiment la stupeur de Philippe. — Lorenzo, le libertin flétri par les quolibets et les mépris du peuple, attire Alexandre à une dernière infamie : au lieu de lui livrer sa tante, dans le palais de sa mère, il le tue. Mais il a eu beau avertir dès la veille les partisans de la liberté. Ces marchands se laissent escamoter la république, à peu près aussi imprudemment qu’on l’a fait en ces temps derniers. Le cinquième acte a des réminiscences comiques dont les tragédies précédentes augmentent l’ironie et aiguisent cruellement la pointe. Ce drame, c’est Florence tout entière en 1556 ; c’est la république complète avec ses maîtres et son peuple, avec ses bourgeois anoblis, avec ses boutiquiers bavards, avec ses étudians curieux, avec ses muguets débauchés, avec ses filles aisément séduites et ses vertus plus sûres et suaves, avec l’affront de sa