Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 3.djvu/604

Cette page a été validée par deux contributeurs.
600
REVUE DES DEUX MONDES.

Certes le reproche de profanation ne saurait s’adresser à Manzoni. Jamais auteur ne fut moins profane, ne fut plus austère, plus pénétré de vénération pour les trésors de l’intelligence, de gratitude pour la main qui les dispense. Ce que j’entends seulement, c’est bien établir une fois pour toutes un droit que certains hommes sont enclins à contester.

C’est en vertu de ce droit que j’ai pu sans remords et dû même par devoir demander compte au poète de sa foi. Il est passé en proverbe, je le sais, qu’il est de mauvais goût de chicaner un homme sur ses croyances, et que le sanctuaire du cœur doit rester voilé. Il se peut que cela soit de mauvais goût, mais c’est d’un bon exemple, et si cela se pratiquait plus, il y aurait dans la société peut-être moins de mensonge et de lâcheté. Que de gens se réfugient dans le for intime de leurs convictions, comme ils disent, qui seraient bien honteux, si on les y forçait, d’être surpris dans le vide ! Ce n’est pas le cas de Manzoni, et voilà pourquoi je le révère en le combattant. Il a des convictions, j’en ai d’autres : je conçois l’infini autrement qu’il ne le formule ; mais s’il n’est pas mon homme en tout, il est mon homme en beaucoup de choses, et personne n’est plus digne de tous respects.

Où en serions-nous, bon Dieu ! s’il n’était pas permis de contrôler les croyances rivales, celles surtout qui se résolvent en actes ; s’il n’était pas permis de porter le scalpel sur tous ces cadavres qu’on s’efforce de galvaniser, et de demander à ces mânes que l’on ressuscite ce qu’ils nous veulent avec leurs faces mornes, et ce que viennent faire au milieu des vivans tous ces transfuges de la mort ? Bien des ruines sont entassées, mais on n’aura pas tant nivelé, tant labouré, tant semé, pour venir, après toutes ces sueurs, planter au milieu des décombres l’étendard poudreux du Vatican. Autant valait en rester à Boniface viii ou à Grégoire vii.

Nous ignorons à quelles transformations nouvelles le vieux principe chrétien est réservé dans l’avenir ; mais c’est notre conviction, intime, inébranlable, que la forme catholique est usée : elle a fait son temps ; la vie s’est retirée de là, c’est une institution morte. Ces derniers cantiques, ces dernières faveurs, c’est le prêtre qui administre le viatique à l’agonisant.

Troublés, épouvantés d’une catastrophe qu’ils pressentent sans