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sont pénétrés, il ne s’agit plus maintenant de les paraphraser, il faut en créer d’autres. Ce que les antiques avaient pour nos pères de mystérieux et de sacré est pour nous aujourd’hui vulgaire. Ce qui était de la religion est devenu de l’histoire. Le voile de Saïs est déchiré, le peuple a vu l’idole face à face, il l’a touchée, il la juge ; il faut sur l’autel un nouvel emblême. C’est à la science à fournir à l’art la matière première, l’art taillera la statue et l’idéalisera. De l’alliance inévitable et prochaine de ces deux puissances trop long-temps rivales naîtra la religion de l’avenir.

Mais telle n’est pas la pensée de Manzoni, il est si invinciblement lié à la vieille forme catholique, qu’il la considère comme la forme finale et définitive de l’humanité ; toute son œuvre poétique le prouve, et l’on a vu que l’idée fondamentale de son roman est la réhabilitation du prêtre. Il croirait perdre son ame en donnant son coup de ciseau à la statue ébauchée des temples futurs ; les temples passés et leurs simulacres lui suffisent ; il ne s’aperçoit pas qu’en croyant s’agenouiller devant la vie il s’agenouille devant la mort. La seule idée de réformer l’église lui semble un de ces blasphèmes contre le Saint-Esprit qui ne se pardonnaient pas. « Toute idée de réforme dans la foi, dit-il, est chose impossible et impie. »

Cette phrase est tirée de son Traité de la morale catholique, ouvrage qu’il écrivit en réponse aux vues de Sismondi sur l’église et le clergé, et dans lequel il s’attache à démontrer l’infaillible et inamovible sainteté de la morale catholique. Mon projet n’est pas d’accompagner les deux champions dans l’arène ; ni l’un ni l’autre ne me semblent aller au fond des choses ; c’est une simple escarmouche entre un catholique et un protestant. Les bases ne sont pas discutées, la question de révélation pas même posée, et je dirai plus, les textes une fois admis de part et d’autre, comme code éternel, infaillible et divinement révélé, je trouve que le catholique a raison en droit, et le protestant me semble vaincu.

Du reste, l’historien des républiques italiennes a le tort d’être trop calviniste dans le passé. Il a, je crois, méconnu la mission civilisatrice du catholicisme, et par amour de la liberté il a trop violemment réagi contre l’unité religieuse du Vatican. Bien entendu qu’il s’agit ici du moyen-âge, car aujourd’hui nulle réaction contre la théocratie romaine ne saurait être trop forte. Mais je le répète,