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de tout cela, et tout cela est dans l’histoire, qu’a-t-il peint ? Un tyran de mélodrame, ou peu s’en faut.

Corrupteur et vulgaire avant le combat, il est rodomont après la victoire ; il pousse même la brutalité du succès jusqu’à insulter au vaincu. « Tais-toi, répond-il au roi Didier qui le rappelle à la modération, tais-toi, toi qui es vaincu. Eh quoi !… tu viens encore tempêter autour de moi, comme le mendiant qui reçoit un refus !… Tais-toi, l’infortune est inépuisable en vaines paroles, mais l’oreille d’un vainqueur offensé (offensé ! il vient lui voler sa couronne après lui avoir renvoyé sa fille) n’est pas également tolérante et infatigable[1]. » — Je traduis littéralement.

Tout ce que dit Charlemagne est dans cet esprit de morgue et de plate arrogance. Je me suis toujours étonné que Manzoni, homme si noble, si élevé, ait pu inventer un tel caractère ; inventer, car dieu merci, il ne l’a pas trouvé dans l’histoire. Pourquoi faire le conquérant si grossier après avoir fait le condottier si gentilhomme ?

Quelques traits semés çà et là m’ont fait presque supposer qu’il avait entendu faire dans son Charlemagne une satire de Napoléon, et que le cloître de Saint-Sauveur où meurt la reine répudiée n’est que la Malmaison où meurt Joséphine, reine aussi répudiée.

Le second reproche capital à faire à l’Adelchi est l’absence du peuple. Deux dynasties étrangères, les Lombards et les Francs, se disputent la sanglante Italie, et pas un Italien ne s’élève entr’eux pour les maudire ! Et si l’auteur se justifiait de cet inconcevable oubli en disant qu’il a personnifié l’Italie dans les deux Latins, Pierre, le légat du pape, et Martin, le diacre de Ravenne, je lui adresserais alors le reproche bien autrement grave d’avoir montré l’Italien livrant de sa propre main l’Italie à l’étranger, car c’est le

  1. Taci tu che sei vinto. E che ?…
    Anco mi vieni a imperversar d’intorno
    Come il mendico che un rifiuto ascolta !
    ......... Taci.
    Inesausta di ciancie è la sventura ;
    Ma del par sofferente e infaticato
    Non è d’offeso vincitor l’orecchio.