Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 3.djvu/591

Cette page a été validée par deux contributeurs.
587
POÈTES ET ROMANCIERS DE L’ITALIE.

Manzoni ne me semble pas avoir la conscience bien nette des devoirs qu’impose le théâtre. Le théâtre est de tous les maîtres le plus jaloux, le plus inflexible. C’est presque un fatum pour le poète. C’est cette voix impérieuse de Bossuet, qui ne lui permet pas de repos, et qui lui crie, quand il veut s’arrêter : Marche ! toujours marche ! C’est de tous les genres celui qui oblige aux plus durs sacrifices. L’artiste qui s’y dévoue, et c’est un dévouement dans l’acception rigoureuse du mot, est condamné à abdiquer une partie de lui-même, afin de mieux imposer l’autre. La scène est une chaire, le drame un enseignement, le dramatiste un instituteur. L’antiquité l’a toujours entendu ainsi, et le clergé chrétien lui-même l’avait si bien compris, qu’il ne crut pas déroger en se faisant comédien ; le moyen-âge est plein de ses mystères. Tout ce qui tend à altérer ce caractère primitif et social du théâtre, tout ce qui distrait l’attention du peuple de la vérité morale qu’on ne lui représente en action que pour la lui mieux inculquer, tout ce qui n’est pas dramatique, dans l’essence du mot, est pour le moins superflu. Voilà en vertu de quel principe je condamne l’épisode dans le drame.

Manzoni lui-même l’aurait senti s’il avait pu écrire pour la scène ; la voix du peuple lui aurait appris que le poète dramatique ne s’appartient pas, qu’il ne lui est pas permis de vaguer à son aise de l’ode à l’élégie, de l’élégie au descriptif, et qu’il doit aller son droit chemin, sous peine de manquer le but. Mais Manzoni a fait des tragédies théoriques ; il n’a écrit que pour le cabinet, il avait ses coudées franches, il a joui de sa liberté usu et abusu.

Mais je reviens à la tragédie d’Adelchi, car je n’ai pas réglé mes comptes avec elle. Il me reste à faire au poète deux reproches qui ne tiennent plus seulement aux exigences de la forme, mais deux reproches fondamentaux. Le premier, et il est grave, est d’avoir manqué complètement le caractère de Charlemagne. Or, ceci n’est point une simple infraction à la loi dramatique, c’est une violation flagrante de l’histoire. Au lieu de peindre le grand politique qui rêve l’unité de l’occident, l’homme intellectuel, le civilisateur de la barbarie, l’ame tendre, qui, à la vue des voiles normandes, pleure de vraies larmes sur les maux futurs de la France, au lieu