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POÈTES ET ROMANCIERS DE L’ITALIE.

d’emboucher la trompette et de crier hosannah ! Le troupeau classique de se ruer sur le nouveau-né pour le déchirer, si bien que Goethe qui ne connaissait pas l’auteur, mais qui se reconnut lui-même dans l’œuvre nouvelle, tira l’épée à Weimar, et descendit dans l’arène, le vieux maître, pour défendre son disciple.

Carmagnola en effet procède directement de Gœtz de Berlichingen, le don Quichotte germanique. Quoique de proportions inégales, le drame italien et le drame allemand sont conçus dans le même système, tous les deux selon la loi de succession plutôt que selon la loi de concentration. Or, c’est là, à mon sens, le défaut capital des deux tragédies de Manzoni, de Carmagnola comme d’Adelchi, qui vint après. Le Gœtz de Goethe n’est qu’une chronique taillée en scènes, et cela est si vrai, qu’il fut primitivement écrit sous forme de chronique et morcelé ensuite comme nous l’avons, quand l’auteur se fut ravisé. Aussi n’est-ce point un drame dans l’acception rigoureuse et littérale du mot ; il n’y a réellement pas d’action, c’est tout simplement un tableau vif et piquant de la féodalité expirante. Le poète n’a pas entendu faire autre chose, et le cadre adopté par lui suffisait à son plan. C’est donc un mauvais modèle de drame, et Goethe ne l’a jamais donné comme tel.

Ce n’est pas qu’il n’y ait une action dans le Carmagnola, mais elle se déroule avec une telle lenteur qu’on l’oublie. Il n’y a pas moins de quatre actes d’exposition, et l’action dramatique ne commence réellement qu’au cinquième. Le cinquième acte devrait donc être le second. Les trois intermédiaires ne sont pas vides, ils renferment au contraire de grandes beautés de détail ; mais pour me servir d’une expression métaphysique qui rend bien mon idée, ils ne sont pas nécessaires, ils sont contingens. Je sacrifierais volontiers pour ma part la savante étude de condottieri du second acte, et, au quatrième, le monologue de Marco, le Posa du sénat vénitien, monologue d’ailleurs faible d’analyse, faible de forme, et qui de plus a le malheur de finir par un madrigal ; je sacrifierais, dis-je, volontiers ces deux scènes et d’autres pour un plus large développement du caractère principal et un intérêt plus puissant.

Il y a toujours, je le sens, de la pédanterie à dire à un homme : Vous avez fait cela, il fallait faire ceci. Mais quand un nom a de l’au-