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mère de Manzoni ; il fut enseveli à Meulan dans un jardin des Condorcet, et sa dépouille resta là jusqu’à la repatriation des Manzoni. Ils chargèrent alors Botta d’aller chercher le cadavre, et ils l’emportèrent avec eux à Milan. Le père Manzoni était mort depuis plusieurs années.

De la mort d’Imbonati[1] date la carrière littéraire de Manzoni ; âgé alors de vingt-un ans, il publia à Paris en 1806 une épître à sa mère sur la mort de leur ami. C’est un morceau en vers sciolti, — les vers sciolti sont les vers blancs des Italiens, — dans le genre des Sepolchri de Foscolo. C’est un morceau fort jeune et inexpérimenté ; la forme en est un peu vulgaire et académique ; il manque d’originalité, d’invention. L’apparition du mort et son dialogue obligé avec le poète composent le fonds du poème ; c’est, comme on voit, une machine usée. Mais en l’examinant de près, on y démêle les germes de son talent et même de sa philosophie. Ces premiers vers respirent cette amertume contre la vie qui fait regarder au ciel les âmes tendres et contemplatives, cette misanthropie vague et ardente, précurseur ordinaire du suicide pour les uns, de la foi pour les autres. Je ne sais, mais tout imparfait qu’est ce petit poème, j’y trouve une certaine énergie âpre que je ne vois plus nulle part dans les écrits postérieurs du poète, si supérieurs qu’ils soient, et que je regrette. La dévotion a émoussé la pointe acérée de sa verve satirique.

Peu de temps après ce début parut sous le titre d’Urania un second discours en vers sciolti comme le premier, mais bien inférieur, et qui n’a de remarquable, à mon sens, que le violent désir de gloire dont le poète avoue être travaillé. Mais excepté cette profession de foi franche et naïve, tout le reste n’est qu’une froide allégorie mythologique dans le genre des imitateurs d’Hésiode, écrite d’ailleurs d’un style faux, maniéré et incapable de soutenir la comparaison avec les moindres pastorales grecques d’André Chénier.

Il est évident que Manzoni tâtonnait et n’avait pas encore trouvé

  1. Ce comte Imbonati n’était ni docte ni croyant ; c’était un brave homme. C’est à lui que Parini avait adressé sa belle ode :

    Torna a fiorir la rosa, etc.