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Manzoni est le premier écrivain vivant d’une langue que je cultive et que j’aime de tout l’amour que je porte au pays qui la parle ; l’Italie contemporaine tout entière, amis et ennemis, lui a décerné la royauté littéraire, comme dit un critique habile. Il m’a paru que la France n’avait du nouveau roi d’outre-monts qu’une connaissance assez vague, et qu’il y avait lieu à lui présenter ses titres en les discutant devant elle. Elle prononcera son jugement et l’arrêt qu’elle rendra ne sera pas perdu pour l’Italie.

Manzoni n’est pas un génie de première ligne, mais il est le premier de son pays, et à ce titre il mérite une considération particulière. En ce moment d’ailleurs, l’Europe n’a pas le droit d’être si difficile et de faire la dédaigneuse.

Toute valeur littéraire à part, Manzoni a de plus une signification philosophique, il est catholique dans son œuvre comme dans sa vie, et il me semble représenter assez fidèlement la tendance actuelle de certains esprits analogues au sien vers les formes religieuses du Vatican.. On peut donc le prendre comme un type, et il ne se plaindra pas, dévot sincère comme il l’est, que l’on fasse de lui la personnification de l’idée catholique dans l’art du dix-neuvième siècle.

La vie de Manzoni n’est pas, comme celle d’Alfieri, une vie d’aventures ; rien de romanesque dans son histoire ; c’est un poète tout casanier, et l’on peut dire de lui avec vérité ce qu’on a dit de tant d’autres faussement : sa vie est dans ses écrits.

Alexandre Manzoni est né à Milan en 1784, c’est-à-dire qu’il a aujourd’hui cinquante ans, et appartient par conséquent à l’autre génération, à l’autre siècle. Son père était comte, mais banal et ignorant ; sa mère, femme d’esprit et d’activité, est fille du marquis Beccaria, l’auteur des Délits et des peines. Il y avait donc dans la famille une double tradition : la tradition patricienne et la tradition philosophique.

Manzoni se rappelle peu son aïeul qui mourut d’apoplexie lorsqu’il n’avait encore que neuf ans[1]. Il n’en parle qu’avec vénération et il est curieux de l’entendre louer son livre Du Style, assez triste ouvrage dont on a dit qu’il traite du style sans style. On

  1. Beccaria mourut en 1793.