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LES EXCENTRIQUES.

considéraient, non sans raison, comme un hypocrite et un imposteur ; mais, dans leur emportement et le désir qu’ils avaient de me démasquer, mes antagonistes prétendirent avoir découvert ce que j’étais, et avancèrent plusieurs faits controuvés. Il fut facile aux hommes pieux qui croyaient à la sincérité du nouveau converti, de réfuter leurs assertions. Ainsi, la fraude s’accrédita par les moyens mêmes qu’on prenait pour la combattre. Je parus aux yeux du public religieux un néophyte sincère, que persécutaient les fanatiques et les incrédules : mon caractère personnel contribuait beaucoup à affermir ma réputation de bonne foi. Indolent et insouciant, je me montrai dépourvu d’ambition, plutôt prodigue qu’intéressé, et irréprochable dans ma conduite et dans mes mœurs. Mes apologistes disaient : « Sans aucun vice, il possède toutes les vertus, une piété sincère, une grande candeur d’âme, un attachement à tous ses devoirs ; quel intérêt peut-il donc avoir pour se rendre coupable d’une si abominable profanation que celle dont on l’accuse ? Lors même qu’il en aurait conçu l’idée, sa jeunesse et son inexpérience ne le rendraient-elles pas incapable de soutenir un pareil rôle ? » Ces raisons parurent irrécusables, et il passa généralement pour constant que Psalmanazar était un natif de Formose. Ma relation fut considérée comme authentique et citée comme une autorité ; elle eut plusieurs éditions, et fut traduite en diverses langues.

« Je recommençai donc ma vie indolente, que soutenaient les libéralités de personnes pieuses qui s’étaient cotisées pour m’assurer une petite pension. Je passai ainsi encore douze ans dans cette espèce d’affaissement moral, dans cet engourdissement de l’ame qui n’excluait pas la vivacité de l’esprit et la sensibilité du cœur ; mon penchant à l’amour ne m’entraîna jamais dans le libertinage.

« Vers l’âge de trente-deux ans, l’amour sincère que m’inspira une jeune femme produisit en moi un changement complet, mais non subit. Quelques livres religieux que je lus alors commencèrent à m’inspirer une conviction entière de la vérité du christianisme, et ensuite une piété fervente, qui fit naître en moi le désir, et bientôt après la ferme volonté de travailler à mon entière conversion. Pour y parvenir, je renonçai d’abord aux bienfaits de ceux que