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Mon régiment fut envoyé au fort de l’Écluse, dont le chevalier Lauder, gentilhomme écossais, d’un caractère respectable, était gouverneur : il avait pour aumônier un de ses parens, nommé Innes, prêtre débauché, hypocrite et rusé, qui fit connaissance avec moi. L’aumônier, sans être ma dupe, vit tout le parti qu’il pouvait tirer lui-même, pour son avancement, de la fable que lui débitait Psalmanazar. Il m’enseigna l’anglais, qu’il savait mal, et me persuada de me laisser convertir par lui à la religion anglicane, et de me faire baptiser. Moi, qui n’avais alors que dix-huit ans, je me prêtai à cet impie stratagème : le brigadier Lauder fut mon parrain ; il me nomma George. Innes reçut de Compton, évêque de Londres, une promotion pour prix des soins qu’il s’était donnés.

« J’allai donc à Londres, où ma renommée m’avait précédé ; et l’on ne douta point que je ne fusse natif de Formose, quand on me vit manger de la viande et des racines crues, et écrire couramment en caractères inconnus. Innes me força de faire une traduction en langage de Formose, du catéchisme anglican, qui fut placé, par l’évêque de Londres, au nombre des manuscrits les plus curieux de sa bibliothèque. Encouragé par le succès de mon imposture, j’y mis le comble en publiant sous mon nom supposé de George Psalmanazar, une description de l’île de Formose, dans laquelle se trouvaient gravés mon alphabet formosan, les figures des divinités du pays, les costumes des habitans, leurs temples, leurs édifices, leurs navires, et une carte de l’île de Formose et des îles du Japon. Je n’avais que vingt ans. Je trompai toute l’Angleterre. Qu’il est facile d’en imposer au monde et aux savans ! Mon roman géographique eut un immense succès. On en parla dans tous les recueils érudits de l’Europe. Une grande discussion s’éleva. Comme dans ma relation je disais que j’avais été séduit par un jésuite qui, en partant de mon pays, m’avait aidé à voler le trésor de mon père, les jésuites, et surtout le père Fonteney, m’attaquèrent avec violence. D’un autre côté, plusieurs membres de la Société royale, tels que les Halley, les Mead, les Woodward, qui étaient, surtout le premier, connus par leur opposition aux dogmes du christianisme, n’ajoutaient point foi à la prétendue conversion de ce jeune Japonais qui, dans son livre et ses discours, soutenait la vérité de la révélation évangélique avec toute la science d’un théologien. Ils me