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avait pour moi surmontait le dédain que lui inspirait ma pauvreté, et elle me fit des avances. Ma gaucherie, mon inexpérience, l’embarras de déposer le masque de la vertu, les rendirent inutiles. Après diverses tentatives, renouvelées par intervalles, pendant l’espace de six mois, et toujours infructueuses, elle changea tout à coup, et ne me témoigna que la plus froide indifférence ; puis elle annonça l’intention de partir et d’emmener ses fils avec elle, sans dire à leur précepteur s’il devait les accompagner, ou si elle me laisserait avec son mari, ou enfin si elle me reverrait.

« Quoique j’eusse prévu ou craint cet événement, j’en parus très affligé. La dame voulut en profiter, et fit sur moi, la nuit même de mon départ, un dernier essai de ses charmes, qui fut infructueux. Alors, outrée de dépit, elle me fit signifier mon congé définitif, par une femme de chambre, qui ne me laissa pas ignorer l’opinion que sa maîtresse avait de moi, et la cause de mon expulsion.

« D’Avignon je me rendis à Beaucaire, dans le moment de la foire ; j’empruntai de l’argent à plusieurs marchands de ma connaissance, puis à quelques moines que j’intéressai à mon sort, en me faisant passer pour un jeune homme de famille protestante, converti à la religion catholique, et, pour cette raison, persécuté par son père. De retour à Avignon, je me fis délivrer, par le supérieur d’un couvent, un certificat qui constatait que j’étais un jeune étudiant en théologie, Irlandais d’origine, obligé de quitter son pays, et allant à Rome en pélerinage. Je reçus dans une chapelle un accoutrement complet de pélerin aux pieds de la statue d’un saint auquel on m’avait consacré. Je m’en revêtis, sortis de l’église et de la ville ; et ainsi déguisé, pris le chemin de Rome, demandant l’aumône en latin à tous les religieux, recueillant quelques sommes, et quand ma bourse se trouvait garnie, cessant de mendier, non par honte, mais par indolence.

« La route que je suivais me conduisit à peu de distance du lieu où résidait ma mère. Je ne pus résister au désir de l’aller voir ; néanmoins, craignant d’être reconnu, je n’osais pas me montrer dans ma ville natale : je m’y glissai, comme un coupable, à la faveur de la nuit, et ce fut de nuit aussi que j’entrai dans la maison paternelle. Ma mère m’accueillit avec tendresse : cependant, au bout de deux ou trois jours, elle m’engagea à me rendre auprès de mon