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LES EXCENTRIQUES.

de six rides nouvelles votre front déjà ridé de haut en bas par deux lignes parallélogrammatiques, posant sur les sourcils et creusées par votre pédagogie, je vous affirme que ces niaiseries sont bonnes, que ces anecdotes futiles renferment des vérités notables, qu’elles sont significatives, qu’elles entrent dans la théorie des karakteristics, qu’elles peignent un peuple, qu’elles peuvent rester, qu’elles doivent rester, qu’elles resteront.

— Mais, cher auteur, vous ne deviez ni écrire, ni publier ces choses : recoudre ainsi les feuilles d’un Ana ; comme si nous n’avions pas le Carpenteriana, le Ducatiana, le Grosleyana, le Thuana, le Brunetiana ; c’est bien assez. Et comment voulez-vous être admiré ? Vous ne faites preuve de nulle science ; vous ne posez nul système ; vous ne vous placez sur aucun piédestal philosophique. Impardonnable faute ! Je pensais à vous introduire dans le club des Syncrétistes ; je renonce à mon projet.

— Ah ! docteur !

— C’est positif !

— Mes pauvres Excentriques ! si innocens, si bons, si bizarres, si amusans, pour moi, tout au moins, leur historien ; les bannir ! Docteur, que ne trouvez-vous dans votre philosophie quelque raison amphigourique et critique pour qu’ils existent et pour qu’ils soient grands, sublimes, hommes de progrès, nécessaires à la civilisation, eux et leur histoire, eux et leur historien ? Tenez, il y a dans la souple élasticité des paroles, de si admirables ressources ; et le système se prête si bien à tout ! Une théorie quelconque vous est-elle difficile, bon docteur, à vous qui connaissez le subjectif et l’objectif ? Aidez-moi ; je n’aurais que cette phrase du vieux Pasquier à vous alléguer pour ma défense, et c’est une très pitoyable excuse : Bons amis, je n’ai certes entrepris de vous contenter tous en général, ains celui-ci ou celui-là peut-être en particulier, et par espécial moi-même !

— C’est là une raison concluante ! Il s’agit bien de vous contenter vous-même ; il faut contenter le public. Le public est un et indivisible. C’est un gros seigneur auquel il faut plaire ; pour lui plaire, le dominer ; pour le dominer, l’étourdir ; pour l’étourdir, employer l’érudition, ou la pompe du style, ou la concentration du syllogisme, ou la hauteur inaccessible de la phrase.