Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 3.djvu/535

Cette page a été validée par deux contributeurs.
531
LES EXCENTRIQUES.

couvens. Les couvens servaient d’issue à toutes ces demi-folies qu’on ne pouvait pas admettre ailleurs, d’asile à ces ames ardentes et blessées qui ne trouvaient aucun port, aucun avenir dans le monde, ou à ces grands coupables qui avaient su échapper aux lois, mais non aux remords de leur conscience. Lord Goring, après la vie la plus dissipée et la plus criminelle, se retira en Espagne, se fit moine dans un couvent de Dominicains et y mourut.

L’humoriste, cousin-germain de l’excentrique, abonde chez nous. Ce mot qui a servi de texte à si délicates et subtiles dissertations, au xviiie siècle et au commencement du xixe ; ce mot, que l’on a obscurci en essayant de l’expliquer, est facile à comprendre. Il indique l’homme qui se livre à son humeur avec indépendance, et qui trouve moyen d’intéresser les autres à ce caprice. C’est l’homme naïvement bizarre ; les Italiens et les Anglais, chez lesquels la sociabilité a respecté bien plus que chez vous la trempe individuelle des caractères, ont eu de très grands humoristes. Rabelais et Montaigne dans le genre gai, J.-J. Rousseau dans le genre triste sont à peu près les seuls que vous puissiez citer ; encore l’un vivait-il fort ignoré dans son castel du Périgord, l’autre dans son presbytère de Meudon : et l’on sait avec quel soin le troisième échappait aux persécutions des grands seigneurs et des femmes qui venaient le relancer dans sa tanière de philosophe.

Je vais vous citer un fou rabelaisien et humoriste, qui vivait encore en 1804, et que j’ai connu :

§. xiv.
Le docteur Kempf et son valet Bragadoccio.


Le docteur Kempf avait fait ses études de médecin ; après avoir exercé à Londres pendant cinq ou six ans, il eut le bonheur de perdre un oncle qui mourut aux Indes, et lui laissa un nombre considérable de rupies. Kempf, dont la famille était bonne et l’esprit singulier, se fit marchand d’orviétan, engagea un paillasse comme domestique et courut l’Angleterre.

Ce médecin errant avait remarqué que le pauvre peuple était dupe de tous les charlatans qui parcourent les villages ; qu’on ven-