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LES EXCENTRIQUES.

celui de sa femme et de ses enfans, lui semblaient afficher trop de luxe et de prétentions, il arrachait le galon des habits, déchirait la dentelle des robes, et, le lendemain matin, il envoyait au fermier la valeur de la dentelle et du galon, en instrumens aratoires et en habits de bure et de ratine. Les certificats de mariage, qu’il signait en sa qualité de doyen, étaient presque toujours des épigrammes en vers contre le marié, la mariée, et surtout contre le mariage. Homme étrange, d’une intelligence rare, d’une force de sarcasme sans égale, d’une laideur remarquable, il fit périr de chagrin deux femmes aussi jolies qu’il était laid, aussi tendres qu’il était insensible ; et par une étrange punition du ciel, il mourut idiot après avoir, toute sa vie, abusé de son esprit.

À sa haine profonde pour les femmes et pour l’amour, se joignait un singulier raffinement. Il aimait à les dominer, à les enchaîner, à les prendre pour victimes. Marié secrètement, il exigea de sa femme le platonisme le plus absolu, et cet homme dont les rimes cyniques font rougir le lecteur, se renferma dans la même abnégation. Il alla un jour rendre visite à un homme qui, comme lui, faisait profession de fuir les femmes. Cet autre excentrique se nommait Gossling et demeurait dans Wych-Street. Il se vantait de n’avoir jamais adressé la parole à une femme depuis sa dix-huitième année. Sa maison était fermée à toutes les femmes ; Swift passa un jour entier avec lui et lui consacra quatre mauvais vers.

Si tous mes excentriques ressemblaient à ces gens-là, je n’aurais pas emprunté deux lignes à la bibliothèque de Wordem.

§. xii.
Les Misanthropes.


Quant à vous, honnêtes et pauvres ames blessées, dont l’extravagance n’a jailli que de vos chagrins, oh ! je vous donnerai ici une belle place à part, je ne vous confondrai pas avec les mille insensés que nous passons en revue. Vous avez été frappées par le sort, vous ; et votre folie, c’est le sang de votre blessure, c’est la sève de l’arbre qui s’écoule de son écorce attaquée. Je vous respecte, ô pauvres âmes, et vous n’aurez pas une mauvaise parole de moi !

Qui ne respecterait et n’aimerait ce pauvre Henry Wellby,