Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 3.djvu/519

Cette page a été validée par deux contributeurs.
515
LES EXCENTRIQUES.

tantes. Tout le monde était aux fenêtres. Nos trois mille chats couraient sur les balcons, s’élançant dans les appartemens, cassant les carreaux, renversant les théières, et dévastant les salons. Imaginez l’effet que produisit cette émeute, et l’étrange spectacle que se donna le wag, auteur du prospectus et moteur de la révolution. Les chiens effrayés s’en mêlèrent, et la population mâle de Chester ne tarda pas à s’armer. Les trois mille quadrupèdes succombèrent : ce fut une Saint-Barthélemy de chats. En moins de deux heures on vit cinq cents cadavres flotter sur la rivière. Le reste des assaillans avait évacué la ville, en laissant comme traces de la bataille l’empreinte de ses griffes sur plus d’une poitrine de femme, et comme monumens, un amas de porcelaines brisées,

§. vii.
Milton. — Johnson. — Steele. — Le marcheur. — Le tailleur.


Ceci vous semble une plaisanterie, une waggery, une farce, dont on aurait pu s’aviser dans tous les pays. Voulez-vous que nous nous occupions des hommes célèbres excentriques ? Ils ne nous manqueront pas. Je pourrais vous montrer Shakspeare, dont les sonnets attestent un platonisme si bizarre, et cet enthousiaste Milton, qui partit pour l’Italie dans l’espoir d’y trouver une femme à peine entrevue. Élève de Cambridge, il s’était endormi sur les dalles du collége. Une jeune Italienne passa près de lui, le remarqua, traça sur un morceau de papier ces vers charmans du Guarini :


« Occhi, stelle mortali,
« Ministri de’ miri mali,
« Se chiusi m’uccidite,
« Aperti, che farete
 ?


et glissa le papier dans la main du jeune homme. Milton s’éveilla, entrevit l’Italienne, et lut les vers qu’elle venait d’écrire. Si la tradition est vraie, son voyage en Italie, voyage auquel nous devons le Paradis perdu, n’eut pas d’autre motif que cette suave apparition qui ne cessa jamais de hanter l’imagination rêveuse et tendre du grand homme.