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LES EXCENTRIQUES.

de la loterie avait tant de charmes pour lui, qu’il lui sacrifia un million de fortune. Il se nommait Christophe Barthélemy, et vivait à la fin du xviiie siècle. Quand le sort le favorisait, il donnait des fêtes magnifiques dans ses jardins d’Islington. Les cartes d’entrée portaient les mots suivans :

To commemorate the smiles of Fortune.
Commémoration des sourires de la Fortune.

Cet adorateur aveugle du hasard lui avait sacrifié ses revenus et se trouvait réduit à la besace, lorsqu’il emprunta deux livres sterling à un de ses amis, les mit à la loterie, et gagna vingt mille livres sterling. Il les rejoua, perdit tout, et mourut mendiant.

M. Tout-à-l’heure, dont vous apercevez le portrait, vous intéressera peut-être davantage. La manie, le hobby-horse de John Robinson de Kendal, c’était l’espérance et l’avenir. Aujourd’hui n’existait pas pour lui ; il espérait vivre demain. Les mots tout-à-l’heure (by and by) sortaient sans cesse de sa bouche. Il devait monter à cheval, employer ses chiens, régler ses comptes, se marier, réparer sa maison, — demain. — Sa meute, ses écuries, sa bibliothèque, devaient lui être utiles — demain. Il est mort à quatre-vingts ans, à Kendal, sans avoir cessé un moment de se regarder comme chasseur, comme membre du parlement, comme homme de lettres, comme écuyer, — mais sans avoir amorcé un fusil, ni brigué une élection, ni écrit une lettre, ni monté un cheval.

Vous en trouverez de toutes les espèces : un orfèvre nommé Smith, devenu millionnaire, s’éprit si bien de l’état de mendiant, qu’il passa quinze ans de sa vie à l’exercer. On le connaissait dans les environs de Londres sous le nom de l’homme au chien, parce qu’il était suivi d’un chien. Un jour, ayant fait je ne sais quelle offense à un habitant de Mithan, il fut condamné par le juge de paix de l’endroit à être fouetté en place publique ; il ne pardonna jamais cette injure au village de Mithan, et dans son testament, ayant laissé un legs à tous les villages du comté de Surrey, il eut soin d’oublier le seul village où cette punition lui avait été infligée.

Vous faut-il une scène plus dramatique, plus développée ? Je vous raconterai la grande révolution des chats, dont Chester fut témoin il y a quinze ans.