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REVUE DES DEUX MONDES.

§. v.
Le roi des gastronomes. — La loterie — M. Tout-à-L’heure. — Le mendiant-amateur.


Tam suavia dicam facinora, ut malè sit ei qui talibus non delectetur !
(Extrait d’un livre que l’auteur n’a pas lu.)


Je dirai de si amusantes fredaines (facinora), que quiconque ne s’en réjouira pas sera un sot.
(Traduction très libre.)


— Par où diable vous plaira-t-il de commencer, me dit Wordem ? Par les avares ? par les ermites ? par les mélancoliques ? par les philanthropes ou les voleurs ? Tenez, voici le portrait du roi des gastronomes : il se nommait Rogerson, et son père, homme riche, l’avait fait voyager en Europe. Il n’avait, dans sa tournée, observé, étudié, approfondi qu’une science, les différens systèmes de cuisine, les diverses méthodes gastronomiques. Peu de temps après son retour en Angleterre, son père mourut. Il avait recueilli beaucoup de notes qu’il se hâta de mettre en œuvre. Tous ses domestiques furent des cuisiniers. Valets de chambre, cochers, grooms, tous savaient la cuisine. En outre, il payait trois cuisiniers italiens, trois français et un allemand. L’un d’eux n’avait qu’un seul emploi, celui d’accommoder le plat florentin nommé dolce piccante. Un courrier était constamment sur la route de la Bretagne à Londres pour lui apporter des œufs de perdrix de Saint-Malo. Souvent, deux plats lui coûtèrent cinquante guinées. Entre ses repas, il n’était occupé qu’à compter les minutes qui le séparaient de sa jouissance prochaine. En neuf ans toute sa fortune était mangée, dans l’acception littérale du mot. Son estomac avait absorbé cent cinquante mille livres sterling. Devenu mendiant, un ami le rencontra et lui donna une guinée. Il alla acheter un ortolan qu’il accommoda lui-même, selon les règles de l’art ; et la digestion faite, il se suicida.

En voilà un autre dont la manie était moins sensuelle. Le hasard