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embrasse si largement, et revêt, pour ainsi dire, avec tant de richesse et d’ampleur, tous les membres de la pensée. Ce qu’il fallait à l’époque de Malherbe, ce n’était pas une langue pour les hommes de génie qui ne sont jamais embarrassés pour se créer la leur ; ce qu’il fallait, c’était une langue pour tous, une langue pour la France, et si Malherbe a voulu la faire claire, limpide et concise, convenons qu’il y a merveilleusement réussi. Cette langue une fois faite, il l’appliqua à la poésie, mais à la façon de ces dialecticiens habiles qui, peu soucieux de la vérité en elle-même, n’abordent la métaphysique que pour essayer leur méthode. Quand Malherbe s’avise d’être poète, béni soit Dieu ! Mais sa grande affaire, c’est la langue ; il y mit tout son génie. C’était faire le titre de grammairien presque aussi beau que celui de poète ; car c’était fonder en Europe la royauté de la langue française.

Malherbe se dévoua donc à cette œuvre de réforme avec la même ferveur d’enthousiasme qu’un autre eût fait à la poésie. Un autre idéalise ses passions, ou met son ame aux prises avec elles ; un autre cherche dans l’inspiration un refuge contre les désolantes réalités de la vie : Malherbe, grammairien indépendant et chevaleresque, faisait métier de poésie. Henri iv n’eut rien obtenu de lui contre le droit du langage ; mais des vers pour ses amours, Malherbe ne lui en refusa jamais. Il pouvait tout à son aise, pour me servir de la spirituelle expression d’une femme, envoyer ses pensées au rimeur. Elles prenaient entre les mains de Malherbe une grâce vraiment royale. C’est pitié de voir un poète prêter ainsi la poésie aux passions de son maître ; c’était bien assez déjà que le fol amour de Henri iv pour la princesse de Condé fût une tache à la mémoire du bon roi, sans que pareil souvenir vînt souiller aussi le nom de Malherbe.

On voit par là quelle idée peu élevée il se faisait de la poésie. Elle lui semblait bonne tout au plus pour le plaisir des oreilles, et pour lui un poète n’était pas plus utile à l’état qu’un joueur de quilles.

Henri iv avait fait de la cour de France une cour gasconne ; Malherbe, le mot est de lui, essaya de la dégasconner.

Ses façons quelque peu hautaines et sentant leur gentilhomme, le mépris superbe qu’il avait apporté de Provence pour les disci-