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ANCIENS POÈTES FRANÇAIS.

à le surnommer le tyran des mots et des syllabes ; il en fut plutôt le législateur. Comme poète, sa place est belle encore ; comme organisateur de la langue, elle est plus haute.

Au bon sens pratique du génie gaulois, Henri iv était venu mêler la vivacité gasconne, et de ce mélange était né, après l’apaisement de la guerre civile, ce qu’aujourd’hui nous appelons l’esprit français. Malherbe essaya de le naturaliser dans les livres.

Lorsqu’il vint se fixer à Paris, le désordre était grand au pays de poésie. L’école de Ronsard, avec la généreuse imprévoyance de l’innovation, avait jeté dans la langue littéraire une foule d’expressions grecques et latines, de tours nouveaux, d’allures inaccoutumées. Régnier, libre écolier de cette réforme poétique, avait bien senti le besoin, pour rester Français, de retremper son génie satirique aux sources limpides du gaulois de Marot ; mais le genre dans lequel il s’exerçait ne tenait pas en poésie un rang assez haut pour avoir sur le mouvement des esprits une assez vaste influence. Régnier serait demeuré une merveilleuse exception dans l’histoire de notre littérature, et l’école de Ronsard, prolongeant son règne, eût ajourné long-temps encore l’avènement de la véritable langue de France.

Malherbe vint donc fort à propos pour discipliner à la française cette armée de mots de tout âge et de toute contrée. Par un heureux hasard qui rendit sa réforme décisive, il porta cette limpidité de la pensée et cette propriété de l’expression dans le genre le plus élevé, dans celui où le poète, échappant par le droit de l’inspiration aux conditions de l’idiome vulgaire, a plus de facilité à corrompre une langue qui vient de naître. Il se rencontra un poète lyrique, assez maître de son enthousiasme pour rompre brusquement avec toute forme qui lui parut hostile au génie de notre langue. C’est plaisir de le voir faire, il met en pièces la grande phrase latine où s’émoussait la vivacité de l’esprit français ; il révise, il exclut, il admet. N’ayez crainte ; le génie des écrivains originaux saura bien où retrouver les bons épis que le souffle de Malherbe disperse pêle-mêle avec la paille stérile. Molière et La Fontaine ne seront pas en peine de savoir où reprendre le mot naïf et le tour gaulois. Saint-Simon ne perdra pas beaucoup de temps à chercher le secret perdu de cette admirable phrase qui