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REVUE DES DEUX MONDES.


Ayant un souvenir de ma peine fidèle,
Mais n’ayant point à l’heure autant que j’ai d’ennuis,
Je dirai : Autrefois cette femme fut belle,
Et je fus autrefois plus sot que je ne suis.


Mais quelque dédaigneuse fierté que respirent ces vers, dix-huit ans après, c’est-à-dire en 1604, Malherbe trouvait encore dans le souvenir de Nérée quelque chose des inspirations de sa jeunesse.

La protection du grand-prieur le rendit plus heureux auprès d’un président du parlement d’Aix, Coriolis, dont il épousa la fille, déjà veuve d’un conseiller. Rien dans les mémoires contemporains, rien dans les œuvres de Malherbe, sur cette époque de sa vie. Malherbe est de tous les poètes le moins intime, le moins fécond en épanchemens personnels. Il aima tendrement les siens, mais de cette affection austère qui supprime comme indignes de l’homme les signes extérieurs des sentimens les plus légitimes. Pendant une maladie de sa femme, il promit à Dieu, s’il la lui conservait, d’aller à pied et la tête nue l’en remercier à la Sainte-Baume. On sait comment il ressentit la mort cruelle de son fils, et s’il a mis tant de pathétique dans les stances à Duperrier, c’est qu’en les écrivant il croyait sans doute pleurer encore sa jeune fille, morte de la peste entre ses bras.

Au mois de juin 1586, un événement tragique lui enleva son protecteur. Un gentilhomme italien, d’autres disent marseillais, nommé Philippe Altoviti, capitaine de galère, avait écrit en cour contre le fils de Henri ii. Ce dernier le sut, et s’en plaignit violemment. L’Italien nia le fait. Le prince irrité tira son épée et l’en frappa. Altoviti tomba sur ses deux genoux, et mourut aux pieds du grand-prieur, mais non sans lui porter au ventre un coup de dague dont il mourut lui-même sept heures après. Un fils illégitime de Charles ix hérita de tous les biens et de tous les honneurs du bâtard de Henri ii. C’était alors, à ce qu’il semble, le sort de la Provence.

Cependant Malherbe s’était fait une famille de celle de sa femme ; on peut le croire du moins en le voyant rester en Provence, au lieu de revenir en Normandie. Il suivit quelque temps le parti des armes, et Racan nous a conservé quelques traits de sa vie militaire.